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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1085

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désespère pas encore de voir un jour cette alliance se renouer et produire d’heureux fruits ; mais je suis avant tout de mon pays, et ma raison s’indigne, mes sentimens se révoltent quand je vois des hommes, dont je ne puis méconnaître l’intelligence et la raison élevée, accepter si facilement, si stoïquement les inconvéniens et les humiliations d’une condition subordonnée. Ce n’est pas sérieusement que, pour resserrer les nœuds de la coalition, on prétend chaque jour à Londres que les trophées de l’empire nous empêchent de dormir, et que si une main vigoureuse ne contenait le torrent, il déborderait bien tôt et ravagerait l’Europe entière. Par de bonnes et de mauvaises raisons, la France a cessé d’être ambitieuse, et si elle rêve quelque chose, ce n’est certainement point la conquête du monde ; mais sans aspirer à la situation exagérée de 1812, la France au moins aimerait à ne pas déchoir de la situation modérée de 1830. La force des armes et des revers non moins inouis que ses succès antérieurs lui ont enlevé la première. Ne mériterait-elle pas toute sorte de dédains si, sans résister, sans protester, sans se plaindre, elle perdait aussi la seconde ? Et cependant. je le demande à tout homme de bonne foi, la France, quinze ans après la révolution, dix ans après le rétablissement complet de l’ordre, est-elle aujourd’hui aussi forte, aussi honorée, aussi influente qu’au lendemain même de 1830, au milieu des troubles civils, quand ses armées étaient moins nombreuses, ses arsenaux moins bien garnis, ses flottes moins considérables ? Pour savoir à quoi s’en tenir, il suffit de se promener un peu en Europe, en Angleterre surtout, et de comparer ce qui s’y dit, ce qui s’y écrit, à ce qui s’y disait, à ce qui s’y écrivait en 1831. Le contraste est aussi frappant que pénible, aussi saisissant que déplorable. Tant pis pour ceux qui ne l’aperçoivent pas ou qui, l’apercevant, n’en sont pas douloureusement affectés.

En résumé personne, pas même ceux qui l’ont inventée et dénommée, ne croit aujourd’hui à l’entente cordiale. Personne d’un autre côté, pas même ceux qui en ont le plus souffert, ne veut sacrifier aux évènemens de 1840 les vrais intérêts du pays. La question est donc de savoir quand et dans quelle mesure il est bon que les deux pays se séparent ou s’unissent, quand et dans quelle mesure les rapports entre eux doivent passer de la méfiance à la froideur, de la froideur à la cordialité. Une telle question n’a rien d’absolu et ne peut se résoudre que selon la nature des débats qui surgissent, selon la situation politique et géographique des puissances engagées dans ces