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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1120

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« Or, comme elle arrive au ciel sur ses ailes enflammées, une voix retentit : Va-t’en ! va-t’en ! il dort. Reviens demain. Il est enveloppé dans ses nuages. »


Cette inspiration byronienne est familière à M. Beck, inspiration difficile à coup sûr et pleine de sérieux dangers. Combien n’a-t-on pas abusé de cette poésie lugubre ! Que de fausses tristesses ! que de désespoirs hypocrites depuis Manfred et Lara ! De tous les lieux-communs qui ont obtenu la vogue, celui-là certes est le plus déplaisant pour un cœur droit. Qui ne préférerait à tout ce luxe d’emprunt l’honnête pauvreté d’une muse sincère ? Si M. Beck échappe souvent à ce grave péril, c’est sa sincérité du moins qui le protège. Malgré ce qu’il y a de vague dans sa douleur, son cœur bat, il est ému, il souffre ; on entrevoit là une ame ardente, qui saura mieux un jour ce qu’elle désire, mais qui déjà ne peut contenir les mouvemens impétueux qui l’agitent.

La pièce qui suit, plus nette, plus ferme de dessin, est pleine de vivacité et d’intérêt. Nous sommes dans la maison de Schiller, à Gohlis, dans cette retraite hospitalière et charmante où l’auteur des Brigands trouva enfin le repos après les souffrances de son inquiète jeunesse. En visitant cette noble demeure, l’étudiant de Leipzig a vu tout à coup le poète se dresser devant lui. C’est bien l’auteur de Don Carlos et de Guillaume Tell. Seulement, comme il est pâle et accablé ! Quel abattement sur ce front généreux où rayonnait jadis la flamme intérieure ! Écoutez aussi comme sa voix est triste, comme ses paroles sont décourageantes : « J’ai été roi, dit-il à l’ardent jeune homme, mais on m’a détrôné. Qu’est-ce que la gloire ? Qu’est-ce qu’un nom immortel ? L’Allemagne m’oublie ; on m’accuse d’avoir mis sur la scène des figures idéales, des créations de ma fantaisie, et non les fortes et durables images de la réalité ; je ne suis plus qu’un faux prophète. Jeune homme, renonce à la muse qui t’enivre. Retourne chez toi, en Hongrie, sur la douce terre des Maghyares ; tu retrouveras ta fiancée ; son baiser est enflammé comme les vignes du Danube. Les jours de fête, quand le Bohémien fait résonner ses cymbales, entoure-la de tes bras, et entre avec elle dans la valse rapide. Ah ! la Muse sait embrasser aussi, mais que son baiser est amer ! » Qu’est-ce à dire ? Voilà d’étranges conseils. Est-ce l’auteur de Don Carlos que nous venons d’entendre ? Est-ce qu’il appartient aux morts illustres, à ceux qui habitent les sphères meilleures, de venir décourager leurs héritiers sur la terre ? Mais la réponse du jeune homme est bien belle ; il est plein de foi et de confiance, il console le glorieux maître, il lui