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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1121

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montre avec orgueil la beauté nouvelle acquise par le progrès des temps à ses immortels chefs-d’œuvre : « A ta voix, ô maître ! tes idéales conceptions ont pris un corps ; elles vivent maintenant autour de nous. Wallenstein, don Posa, Guillaume Tell, nous les avons vus bien des fois ; l’un d’entre eux s’est appelé Louis Boerne. » Il y a, en effet, d’intimes et secrètes relations entre l’Allemagne présente et la période poétique du dernier siècle. On a beau renier ses ancêtres, on a beau vouloir répudier l’esprit national, il n’est pas facile de s’y soustraire à jamais. M. Beck a été bien inspiré quand il a mis en lumière cette solidarité inévitable, quand il a montré chez les successeurs de Goethe et de Schiller l’idée devenue homme, et les créations de la fantaisie des poètes réalisées dans la vie active. Vous voyez que le jeune écrivain obéit sincèrement à toutes ses émotions. Tout à l’heure, il désespérait, il appelait en vain la Providence endormie ; maintenant, c’est lui qui espère et qui croit. Il y a une sorte de naïveté charmante dans ce dialogue de Schiller et de l’étudiant, dans ces rôles gracieusement intervertis. Sans doute, le Schiller de M. Beck n’est pas vrai ; Schiller n’a point parlé ainsi, il ne lui est pas apparu si pâle et si accablé, il n’est pas venu porter le découragement dans cette ame jeune ; mais qu’importe ? laissons chanter le poète ; qu’il exprime à sa manière sa candide ardeur ; nous sommes avertis que sa tristesse est mâle, et que, si elle voile trop souvent son enthousiasme, elle ne réussira pas à le détruire.

Ces alternatives d’espoir et d’hésitation, de confiance et de doute, ces inquiétudes, ce mouvement de l’esprit, font le charme vrai et l’intérêt sérieux de ce premier chant des Nuits. Un peu plus loin, je rencontre des strophes gracieuses qui montrent ce que M. Beck pourrait faire dans ce genre de poésie calme et douce particulier à l’école des maîtres souabes :


« Plantez la jeune semence de l’arbre dans le calme sein de la terre, l’arbre qui grandit figure les scènes variées de la vie.

« C’est avec l’arbre au feuillage épais que l’on fait le berceau de l’enfant ; ce sont les fleurs de l’arbre que cueille en rêve l’adolescent amoureux.

« Les branches serviront à couronner la gloire ; elles feront aussi des lances pour la bataille, des lances pour les héroïques défenseurs de la liberté.

« Dans sa tige fidèle, on taille le pieux symbole de la croix ; c’est elle aussi qui devient la maison paternelle et qui abrite le joyeux monde de notre jeunesse.

« Et enfin, quand sa riche couronne de verdure tombe avec l’âge, le pauvre arbre dépouillé, l’arbre loyal, devient la bière où reposent les morts. »