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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1148

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le messager céleste a fini de parler, le disciple se sent comme sanctifié par cette merveilleuse révélation. L’archange a disparu, et le poète s’en retourne chez lui, dans sa retraite, au milieu des montagnes. Au loin retentissent les cloches et les chants. Un paysan, la tête nue, baisait une croix à l’angle de la route ; lui, il baisait, dit-il, au fond de sa pensée, le rêve d’or du libre avenir. Puis son ame ravie s’élève vers Dieu ; son cœur, oppressé d’amour, déborde en prières ; il prie Dieu pour le bonheur de l’humanité, il offre au Créateur toute une part de sa vie : « Prends-la, ô mon Dieu ! donne-la au père qui veille sur son enfant, donne-la à l’homme utile qui sert ses semblables, donne-la à ceux qui guérissent les corps souffrans, à ceux qui guérissent les ames blessées ; donne-la aux êtres privilégiés pour qui l’existence est heureuse et douce ! Brise l’argile de mon corps, mais que mon ame retourne dans ton sein éternel, jusqu’au jour où elle en sortira de nouveau pour animer de son étincelle vivifiante le cœur d’un homme digne de ce nom, la volonté d’un grand chef, d’un législateur populaire, d’un réformateur bienfaisant ! » C’est au milieu de ces élans passionnés que se termine le poème mystique de M. Beck.

L’auteur, on le voit bien, s’est efforcé d’échapper aux inconvéniens très graves que présente la poésie politique dont l’Allemagne est aujourd’hui si éprise. Comment consacrer par des chants les espérances, les désirs impérieux d’une société qui s’agite ? Comment entreprendre une telle tâche sans que la Muse doive en souffrir, sans que sa dignité souveraine y soit blessée, sans que la prêtresse devienne l’écho, non pas des trépieds sacrés, mais d’un bureau de journal ? Voilà la grande difficulté. Élever le bruit confus de la foule jusqu’à la dignité de l’art, s’inspirer librement du spectacle des choses présentes, et donner, en de sérieux symboles, une consécration idéale de la pensée populaire, telle serait la mission de ce poète. M. Beck a tenté généreusement l’aventure ; il a évité souvent les détails personnels, les préoccupations étroites, les petites questions d’hier et d’aujourd’hui, tout ce qui fait que les vers de M. Prutz ou de M. Herwegh ressemblent mainte fois à des articles découpés en strophes retentissantes. Il s’est prudemment défié de la rhétorique des gazettes, et il a invoqué la poésie ; seulement la poésie n’a pas toujours répondu. Son instinct lui disait que, pour éviter l’écueil, pour éviter le fâcheux voisinage des questions vulgaires, la Muse devait être conduite par lui sur les cimes élevées. Peut-être a-t-il pris ce conseil un peu trop à la lettre quand il a placé son ange sur le haut de la montagne ; qu’importe ce cadre poétique, si vous ne savez le remplir ? qu’importe que vous imaginiez