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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1149

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une scène d’épopée, si vos héros, sous leurs vêtemens radieux, cachent un cœur stérile, sous leur langage éclatant une pensée bourgeoise ?

La mystique élévation de la forme, l’insuffisance des idées, voilà le caractère de la poésie politique de M. Charles Beck. On ne peut nier qu’il y ait beaucoup d’ardeur, beaucoup de sincérité dans l’inspiration du poète, mais la pensée y a trop peu de part. Le cœur chez M. Beck devance toujours la réflexion. C’est un noble défaut, je le sais ; mais enfin c’est un défaut grave, surtout chez un écrivain qui veut parler à la foule. Son enthousiasme l’emporte vers les hauteurs ; malheureusement, comme la méditation n’a pas été appelée à féconder les instincts généreux de son ame, il est forcé de se taire quand il arrive, ou de balbutier une thèse d’écolier. Je suis bien sûr que l’archange des sociétés modernes n’a pas tenu à M. Beck le faible et bizarre discours qu’il lui prête, mais j’imagine qu’il aurait pu lui parler ainsi : « Vous avez un sentiment très vif de l’esprit nouveau qui anime l’humanité, vous ne regrettez pas le passé, vous comprenez ce que vaut le temps où la Providence vous a fait naître ; mais prenez garde de vous contredire, ayez soin de ne pas démentir votre foi par une mélancolie d’emprunt, par une tristesse prétentieuse et funeste. Ne dites pas que je m’appelle la Plainte, la Douleur, et que j’apparais aux penseurs avec la tête du Christ et l’œil de Byron ; je reconnais là votre imagination ambitieuse qui se soucie trop peu de la netteté des idées. Je n’ai point la douceur infinie de Jésus, et je ne puis me passer de son aide pour remplir les ames aimantes ; il m’a été ordonné d’être grave, sévère, et d’élever la raison des hommes. Quant à Byron, si sa fierté sublime a étonné les cœurs et donné une gloire immortelle à sa muse, gardez-vous pourtant de l’imiter ; il faut moins de mélancolie, moins de dédain, pour conduire les temps où nous sommes. Cette tristesse amère appartient aux époques déchirées, non pas à la société nouvelle dont vous parlez, car celle-là doit se régler avec force et avoir enfin conscience d’elle-même. »

Il lui dirait encore, et ici il ne s’adresserait plus seulement à M. Charles Beck, mais à tous les poètes, à tous les romanciers, à tous les rêveurs : « Vous voulez chanter l’avenir, vous voulez peindre une société plus libre, plus juste, plus conforme à l’idéal divin que poursuit l’humanité ; or, prenez garde que vos descriptions, que vos détails, souvent vulgaires, ne défigurent les espérances, les pressentimens des ames. Vous êtes trop facilement portés à croire que vous assistez, par le privilège de la Muse, aux conseils de Dieu. Si vous voulez absolument