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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1211

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poète a le secret ; nais chez l’inhabile imitateur, cette ombre s’est changée en fumée épaisse, ces éclairs sont devenus de méchantes fusées qui font long feu et meurent en traînées aussitôt éteintes. Lycophron est un modèle de clarté auprès de M. Vacquerie, à qui l’on ne saurait contester la palme du genre.

C’est l’auteur des Demi-Teintes lui-même qui dit quelque part dans son livre :

Êtes-vous comme moi ? je plains les serinettes.


M. Vacquerie devançait par là notre conclusion sur son compte. Comme la poésie classique, la poésie nouvelle à son tour en arrive aux doublures et aux serinettes ; encore une fois, le romantisme a son école de l’empire. En défendant à contre-cœur M. Vacquerie, comme on fait d’un complice maladroit, M. Théophile Gautier a eu beau s’écrier qu'un peu de barbarie est nécessaire ; son embarras se trahissait visiblement quand, pour excuser les Demi-Teintes, il ne trouvait rien à dire, sinon « qu’un tronc rugueux vaut mieux qu’un manche à balai, et qu’une urne ciselée est préférable à une casserole. » Malgré leur grace attique, ces images-là ne prouvent nullement qu’Esménard ne fût pas de beaucoup supérieur à M. Vacquerie. Par la prétention, on trouve encore moyen de gâter davantage un fond médiocre. Voilà à quelles folles extrémités en est réduite cette suprême, cette impuissante génération du néo-romantisme, qui, ne voyant pas que la Muse court s’abreuver aux sources fraîches, s’obstine dans les innovations vieillies d’une école maintenant transformée et dissoute. Mais, grace à Dieu, les bravades et les contorsions en poésie ne suffisent même plus à attrouper momentanément un auditoire : le scandale dans les lettres ne réussit un peu que quand le talent est de la partie. Ce volume des Demi-Teintes court grand risque de demeurer à l’état de monologue solitaire.

A mesure qu’on s’éloigne de la ferveur littéraire de la restauration, les groupes poétiques se dispersent davantage, l’indiscipline gagne de plus en plus les rangs, et il se trouve que les plus minces soldats désertent leur chef pour prendre les épaulettes et se commander tout bonnement à eux-mêmes, s’ils ne rencontrent pas une petite bande qui les suive. A exactement parler, il n’y a plus ni école classique ni école romantique, il n’y a plus que des individualités éparses. Voyez plutôt. Harnaché en pourfendeur de jésuites, le Juif Errant est monté à l’assaut de l’unique forteresse qui restât aux classiques proprement dits, et il a planté son drapeau victorieux sur ces vénérables murailles du Constitutionnel, derrière lesquelles M. Jay faisait héroïquement feu de ses dernières cartouches. D’autre part, Olympio a vu s’éclaircir peu à peu sa brillante escorte du temps d'Hernani ; à l’heure qu’il est, il n’a plus autour de lui, pour toute garde prétorienne, que quelques fidèles quand même, tels que le spirituel auteur de la Comédie de la mort, chez qui cette défense désespérée n’est qu’une fantaisie de plus, et aussi quelques survenans inexperts comme l’auteur des Demi-Teintes, qui, sans en avoir conscience,