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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/352

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mêlée en s’écriant : « A moi, Koerner, je vais te rejoindre, » et tomba frappé mortellement de plusieurs balles.

D’après ce que nous venons de dire, on aurait tort de croire que tous les sonnets de. Rückert exhalent une odeur de poudre et de bataille. Cette forme italienne qu’il affectionne et traite en véritable Florentin du XVIe siècle, le maître l’a donnée aussi bien souvent aux agréables et printanières fantaisies de son imagination, et, si tels de ces sonnets méritent qu’on les compare à des escadrons secouant dans la fumée d’une charge tumultueuse les banderoles de leurs lances, nous dirons que les autres se groupent en ravissans bouquets de fleurs aux nuances les mieux assorties. Aucun poète allemand n’a compris, à l’égal de Rückert, tout le parti qu’on pouvait tirer de cette savante combinaison du double quatrain et des deux tercets ; et, parmi tant de roses du Sud si heureusement importées sur le sol natal, celle-ci n’est point la moins rare, à coup sûr, dont il ait à se glorifier. A quelque distance du poète qui nous occupe, je citerai Platen, moins abondant que Rückert, mais auquel on doit de curieux petits chefs-d’œuvre dans ce genre. Quant à nous, la forme du sonnet nous a toujours semblé devoir comporter plus de développement qu’il n’est ordinaire de lui en donner. Sans prétendre renverser la définition admise, laquelle consiste, si je ne me trompe, à regarder le sonnet comme un chaton de richesse exquise où se fixe le diamant de la pensée, ne pourrait-on lui souhaiter plus d’extension ? Qui empêcherait par exemple que dans l’occasion on ne l’employât comme strophe ? C’est là en effet une admirable strophe de haute et savante harmonie. D’ailleurs, qui nous dit que dans l’origine l’emploi de la forme en question fût si restreint ? Quand je parcours Pétrarque, ce livre si merveilleusement varié en son apparente unité, j’y vois moins des sonnets que les strophes d’un poème à la gloire de Laure. De ce qu’au lieu d’enchâsser des perles vous les enfilez, s’ensuit-il que chacune en particulier doive perdre de sa valeur ? Non, certes ; au lieu de trente bagues, vous aurez un collier d’impératrice ou de sultane, voilà toute la différence. Parmi ces cycles gracieux, ces aimables poèmes dont le sonnet fournit la strophe, je noterai en première ligne Amaryllis et les Feuilles d’un Voyage en avril (Aprilreiseblatter) ; mais je ne connais rien dans ce genre de plus frais, de plus mélodieusement éloquent, de plus pur et de mieux senti que les Funérailles d’Agnès (Agnes Todtenfeier). Lorsqu’il écrivit ce poème, Rückert en était encore aux premières émotions de la jeunesse ; les rumeurs du jour, les bruits de la politique et des armes, en offusquant sa contemplation adolescente, ne