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l’avaient point encore arraché aux sources vives de la nature. Aussi toute l’effervescence de l’âge s’y répand-elle en accens éplorés et douloureux. Le choc est violent, non mortel ; il ébranlera peut-être, mais sans les abattre, les colonnes sacrées du temple où flotte à toutes les haleines embaumées du printemps la harpe éolienne, la céleste harpe aux inépuisables accords. Cette fois le mode sera funèbre, car il s’agit de chanter le trépas de la bien-aimée du poète, une Béatrix enlevée à seize ans ; mais, si l’élément funèbre prédomine, rien ne sera épargné pour donner à la scène toutes les graces mélancoliques, tout l’appareil suave et pur qu’elle comporte, et la cloche qui sonnera le glas des morts va se festonner sous les mains de Rückert de vigne vierge et d’aubépine.


« Apportez les flambeaux et l’appareil des funérailles ; apportez les suaires et parez son cercueil ; comme elle ornait jadis les fleurs de sa jeunesse, ornez-la désormais ainsi qu’elle eût fait elle-même !

« Que la couronne des trépassés remplace dans sa royale chevelure la couronne des fiançailles que le sombre faucheur a moissonnée, et, comme nous l’eussions conduite à l’autel, conduisons-la maintenant à sa demeure dernière.

« Point de vaine parure cependant. Ne parons la trépassée que pour montrer comment, vivante, nous eussions voulu la voir parée.

« Ce que la destinée jalouse lui refusa dans l’existence, que l’amour ici le lui prodigue dans la mort, et qu’elle monte enviée vers les cieux ! »


La nature fournit au poète une somme indicible d’images ; les brises et les moissons, la vallée et la colline, l’étoile au firmament et les lis épanouis du jardin, prennent part à son deuil, et c’est surtout dans cette effusion si tendre de sa plainte qu’on sent combien il est initié à fond dans cette vie intime du grand tout.


« J’aime le rayon du soleil, mais seulement parce qu’il brille comme jadis ton doux regard brilla ; j’aime le souffle de l’air, mais seulement parce qu’il me semble t’avoir dérobé quelque chose de ta tiède haleine.


« J’aime les arbres, parce qu’ils ont le balancement de ta taille élancée ; la source, parce qu’elle me rappelle presque ta pureté ; l’ombre, parce que toi, mon soleil, tu n’en eus jamais ; les fleurs, parce que tu les avais en toi sans nombre.

« Enfin j’aime encore la terre et j’aime encore le ciel : la terre, parce qu’elle te sert de tombeau comme je pense ; le ciel, parce qu’il te sert de demeure comme j’espère. »


Pour le mouvement de la strophe, la grace et l’élégance de la pensée, le fini même et le précis de l’expression qui tournerait volontiers au concetto, ne dirait-on pas un sonnet de Pétrarque :