Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par magie, le nom français dans l’Indostan. Il n’avait trouvé à Chandernagor ni une habitation commode ni un bateau bien construit. En peu d’années, deux mille maisons en brique sortirent de terre, et quinze vaisseaux furent lancés en mer. Ce n’était pas assez ; les soins d’une administration sage ne suffisaient pas à son activité. Jusqu’alors on s’était borné au commerce officiel de la compagnie ; il n’y avait pas, dans des voyages si bornés et si peu fréquens, les élémens d’une haute prospérité commerciale ; on ne pouvait demander un tel résultat qu’aux spéculations particulières appelées commerce d’Inde en Inde, ou, en d’autres termes, au cabotage sur une grande échelle. Personne n’avait osé le tenter. Dupleix n’hésita pas : sa famille, confiance noble et rare, n’hésita pas plus que lui ; son père, ses frères, qui d’abord avaient eu peu de foi dans la hardiesse précoce de ses idées, s’y livrèrent sans réserve, et lui fournirent les fonds nécessaires à son entreprise. Dans son premier séjour à Pondichéry, il était déjà devenu riche ; la mort de son père augmenta ses ressources. Il consacra son héritage tout entier au commerce, que seul il soutenait après l’avoir seul créé. La compagnie ne pouvait l’aider ; les fonds et l’audace lui manquaient également. Des amis, des parens y suppléèrent. Dupleix acheta à leur compte et au sien soixante-douze navires ; il en envoya à Surate, à Moka, aux Manilles, aux Maldives, en Perse et jusqu’en Chine. Ses opérations ayant réussi, on s’empressa d’imiter son exemple. Ses bénéfices furent immenses. Dans son contrat de mariage avec une opulente créole qui doubla sa fortune, Dupleix avait déclaré plusieurs millions de biens. Les ministres et la compagnie applaudirent à ses succès, fondés non-seulement sur des combinaisons hardies et savantes, mais sur une administration juste et probe ; car, il ne faut pas l’oublier, ni alors ni plus tard on n’essaya de jeter aucun doute sur la légitimité de ses spéculations. À cette époque de sa vie, non-seulement on lui pardonna d’avoir fait ses affaires avec intelligence, mais on le laissa dans la pleine jouissance de ses richesses. Les complimens les plus flatteurs lui furent adressés par la compagnie des Indes, et pour marque de satisfaction, à cet homme déjà millionnaire, les directeurs envoyèrent, apparemment comme une sorte d’emblème ou de mythe, une gratification de 1,000 francs !

Tandis que Dupleix réparait ainsi, dans un de nos principaux comptoirs, les négligences et les fautes de la métropole, il avait, sur un théâtre voisin, un émule qui devint plus tard un rival. Ce que Dupleix venait de fonder à Chandernagor, Mahé de La Bourdonnais l’avait accompli dans les îles de France et de Bourbon, dont il était gouverneur.