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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/468

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de prendre la mer. La construction du Tilsitt, commencé à Cherbourg, il y a treize ans, n’en est encore qu’aux 8/24mes. Ce vaisseau, si les travaux se poursuivent avec la même activité, sera achevé dans vingt-six ans. Dans vingt-six ans une grande révolution sera peut-être accomplie dans la marine militaire. Achevons donc au plus tôt les vaisseaux qui sont sur nos cales, pendant qu’ils peuvent servir encore. Aujourd’hui du moins ils constitueront une réserve qui nous manquait en 1840 ; plus tard, ils ne seraient peut-être que d’inutiles richesses.

Il est certain que dans toutes les polémiques qui s’engagent sur ces questions de matériel, polémiques que je regarde d’ailleurs comme très utiles et très opportunes, le terrain fuit encore sous les pieds des combattans ; mais il est une autre question dont les élémens varient moins, qui aura son importance dans tous les temps et sous tous les régimes, que la marine à vapeur vienne à prévaloir ou que la marine à voiles maintienne son rang : c’est l’organisation militaire de nos équipages et leur composition. Quelque moteur qu’on invente, il faudra toujours naviguer et combattre : pour ces deux choses, il faut des matelots, des canonniers et des soldats.

C’est une tendance fâcheuse en France, tendance nouvelle d’ailleurs et qui date de la révolution, que d’exiger des hommes qu’ils soient également propres à tout, et de se refuser à reconnaître l’immense avantage qu’offre la concentration des forces de l’esprit sur un seul sujet, sur une seule spécialité. Dans le système adopté pour l’armement de notre flotte, nos matelots durent être à la fois marins, canonniers et soldats. Le plus difficile étant, sans contredit, d’être marin, ce fut surtout cette qualité qui manqua à nos équipages, et cependant, malgré leur singulière aptitude aux exercices militaires, nous n’avons commencé à avoir sur tous nos navires des canonniers, vraiment remarquables que lorsque la formation d’une école d’artillerie navale, précieuse institution due au ministère de M. le vice-amiral de Rosamel, eut consacré ce principe des spécialités qu’on voulait s’obstiner à méconnaître. Grace à l’excellent mode d’instruction à la mer qui fut adopté à cette époque, et auquel concoururent plusieurs de nos officiers-généraux, une partie des hommes du recrutement qui formaient l’indispensable complément de nos équipages trouvèrent là l’emploi qui leur était propre. Ils devinrent d’excellens canonniers.

Ce résultat obtenu devait, ce semble, exciter à en poursuivre un autre. Il fallait demander au recrutement une mousqueterie d’élite, comme on lui avait demandé des canonniers ; et de même qu’on s’était