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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/469

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bien gardé de changer l’uniforme, la discipline ou le nom de ces matelots consacrés à des fonctions spéciales, il fallait avoir sur chaque navire un détachement de soldats-marins que l’on pût, comme les canonniers, employer à tous les services, envoyer sur toutes les vergues. Ces soldats devaient arriver à bord de nos vaisseaux déjà dressés, par un mode d’instruction particulière, à la plupart des manœuvres qui doivent s’exécuter sur le terrain, aptes par conséquent à former le noyau d’un débarquement, et constituant une mousqueterie qui n’eût point été inférieure à celle que l’institution des soldats de marine assure aux bâtimens anglais et américains.

Les abordages prémédités sont devenus très rares aujourd’hui, parce que c’est une manœuvre toujours dangereuse et difficile à exécuter ; avec les navires à vapeur ils seront beaucoup plus fréquens, et d’ailleurs il arrive déjà très souvent qu’ils terminent un combat dans lequel les deux adversaires, dégréés et peu maîtres de leur manœuvre, sont jetés l’un sur l’autre par le vent ou la houle. Si, une fois les navires ainsi accrochés, on pouvait s’élancer sur le pont ennemi le sabre aux dents et le pistolet au poing, ce serait une mêlée, une affaire d’arme blanche, dans laquelle l’élan et le courage auraient beau jeu ; mais les deux navires, bien qu’accrochés, sont encore séparés par un intervalle de dix ou douze pieds : si quelque mât sert à les réunir, c’est un pont qui offre à peine passage à deux hommes de front. Pendant qu’on se presse sur cet étroit espace, un feu nourri de mousqueterie est échangé d’un bord à l’autre. Celui des hunes plonge et moissonne les officiers qui marchent à la tête des compagnies d’abordage. Chaque coup, s’il est bien dirigé, met un ennemi hors de combat, et l’affaire est souvent décidée par ce feu meurtrier avant qu’on ait pu se joindre corps à corps[1]. On voit donc combien il nous importe d’avoir des tireurs habiles, et combien il serait à regretter que les Anglais eussent encore cet avantage sur nous.

  1. A l’appui de cette opinion, on peut citer ce qui se passa au combat de Trafalgar. Le Redoutable, un de nos plus vieux vaisseaux de 74, mais aussi l’un des mieux organisés, abordé par le Victory, vaisseau à trois ponts, que montait l’amiral Nelson, faillit s’emparer, grace à un assaut imprévu, de ce bâtiment qui le dominait de toute la hauteur d’une batterie. L’amiral anglais et son secrétaire étaient déjà tombés sous le feu rapide et meurtrier qui partait des hunes du Redoutable. Le pont du Victory avait été en partie évacué par les hommes qui servaient les pièces des gaillards, et si le vaisseau à trois ponts le Temerary ne fût venu à son tour aborder le vaisseau de l’intrépide capitaine Lucas, cette journée de Trafalgar, si funeste à notre marine, eût été signalée par un des plus extraordinaires faits d’armes que puissent présenter les annales maritimes.