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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/631

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Ce n’est pas tout ; ces épargnes du pauvre, accumulées dans les mains de l’état, sont devenues pour lui un puissant moyen de trésorerie. Elles ont soustrait le gouvernement aux exigences des grands capitalistes. Ce sont les fonds des caisses d’épargne, les fonds du pauvre, qui ont permis au trésor d’attendre le moment le plus opportun pour réaliser l’emprunt voté en 1841. Tels sont les avantages certains qu’il faut mettre en balance avec l’éventualité la plus douteuse qui fut jamais. Devant une question ainsi posée, comment l’homme d’état pourrait-il hésiter ?

En appelant les petits capitaux aux caisses d’épargne, vous émancipez les classes ouvrières, et par là vous prévenez les révolutions. Plus ces classes s’élèveront, plus leur bon sens les défendra contre ces mouvemens aveugles que vous craignez. La confiance s’affermit en proportion de sa durée. Au contraire, si vous supprimez les caisses d’épargne, ou bien, ce qui serait à peu près de même, si vous arrêtez l’essor de l’institution par des mesures contraires à son esprit, vous refoulerez les bons sentimens dans le cœur du pauvre, et vous ferez renaître des dangers certains à la place des périls imaginaires que vous redoutez,

Quoi qu’il en soit, l’alarme étant donnée par des esprits timides, il était difficile à M. le ministre des finances de conserver toute la liberté de son opinion et d’opposer sa sécurité personnelle aux inquiétudes répandues autour de lui. Les commissions des chambres avaient parlé ; elles avaient exprimé des craintes ; pour résister à ces défiances irréfléchies, il aurait fallu que M. Laplagne pût s’appuyer sur un ministère fort, résolu à prendre un rôle élevé dans cette grande question et à le soutenir énergiquement. Ce ministère n’existant pas, et M. Laplagne sachant bien, par expérience, que de toute façon il serait abandonné à lui-même si la partie était douteuse, le côté politique de la question a été sacrifié à l’intérêt financier. M. Laplagne s’est fait le défenseur ombrageux du trésor. Il a été visible, du reste, par la manière dont l’honorable ministre a soutenu la discussion, que ses idées n’étaient pas toujours d’accord avec son projet de loi, et que ses sympathies pour les caisses d’épargne l’emportaient sur les craintes dont il s’était rendu involontairement l’interprète.

Quelle mesure proposait le ministère contre le danger d’un remboursement général et immédiat ? Il voulait, d’accord avec la commission, donner aux caisses d’épargne un délai de deux mois pour rembourser le surplus des sommes dépassant le chiffre de 500 francs. C’était dénaturer l’institution. En effet, les caisses d’épargne doivent être toujours ouvertes, toujours prêtes à payer, sauf un délai très court accordé pour faire les fonds. L’exigibilité même du dépôt inspire la confiance. Dire à l’artisan, à l’ouvrier, que le trésor prendra deux mois pour rembourser, c’est leur faire croire que l’état ne peut pas payer. Vous parlez d’une panique : c’est alors surtout que le système des délais sera funeste. D’abord, en cas de crise, par la raison même que le paiement immédiat n’aura pas lieu, tous les dépôts seront aussitôt réclamés, chacun se mettra en mesure, et le trésor sera obligé de faire face au remboursement. Si la crise se prolonge, la défiance, entretenue par