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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/632

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les passions hostiles, fera naître des troubles. Les livrets seront abandonnés aux agioteurs, et les déposans, ruinés par l’usure, accuseront le gouvernement de les avoir trompés. Si la crise finit dans les deux mois, les paiemens ne seront pas exigés ; mais quelle sera la situation du trésor ? Au prix de sacrifices immenses, il aura péniblement amassé dans ses caisses plusieurs centaines de millions : qu’en fera-t-il ? Quelle perturbation et quelles secousses dans le crédit de l’état !

Le système des délais a été repoussé sur presque tous les bancs de la chambre. L’honorable M. Gouin a essayé de le faire revivre en proposant deux comptes, l’un toujours exigible et limité à 1,000 francs, l’autre à échéance de quatre mois et limité à pareille somme : les efforts de M. Gouin ont été inutiles. Tout système de délai a été jugé faux, impraticable, ruineux pour le trésor comme pour les déposans, dangereux pour le repos de l’état, utile seulement à l’agiotage. Quand on veut chasser l’agiotage de la Bourse, on l’appellerait aux portes des caisses d’épargne : quelle contradiction ! Le seul moyen de prévenir les crises ou de les calmer est de laisser les fonds des caisses d’épargne disponibles. Le jour d’une panique, annoncez qu’on paie, vous dissiperez les craintes ; dites qu’on paiera dans quatre mois, dans deux mois, la foule croira que vous ne paierez pas, la défiance augmentera de jour en jour, et une faible crise, qu’il eût été facile d’arrêter dès le début, deviendra une catastrophe. Il faut ne pas connaître l’esprit soupçonneux et irritable des masses pour ne pas voir que les choses se passeraient ainsi.

Le projet du gouvernement, outre l’intention de diminuer le fardeau du trésor, avait aussi pour but d’éloigner des caisses d’épargne les capitaux de spéculation qui profitent indûment de la prime offerte aux économies du pauvre. Il est certain en effet que cet abus existe ; seulement on l’exagère. À Paris, presque tous les placemens sont légitimes ; en province, la classe des professions diverses ne comprend que le cinquième des dépôts, et encore trouve-t-on dans cette catégorie un certain nombre de placemens qui méritent la bienveillance de l’état. L’abus n’est donc pas si grand qu’on le pense ; c’est même une question de savoir si les classes aisées, en portant aux caisses d’épargne des capitaux qui, sans ce moyen de placement, resteraient inactifs ou iraient se perdre dans des spéculations ruineuses, ne font pas plus de bien que de mal au gouvernement. Des spéculateurs qui placent leur argent à 4 pour 100 ne méritent pas tant de colère. Quoi qu’il en soit, l’idée de rentrer dans l’application stricte du principe populaire de la loi des caisses d’épargne est juste en elle-même. On peut vouloir supprimer l’abus ; mais l’embarras est de trouver un remède qui n’altère pas l’institution. Dans le système des délais, que faisait le gouvernement ? Par excès de précaution pour le trésor, il compromettait la caisse d’épargne et le trésor lui-même ; quant aux placemens parasites, il ne les éloignait pas. Au contraire, les délais n’eussent effrayé que les classes pauvres, dont les capitaux, même au-dessus de 500 fr., doivent toujours rester libres pour répondre aux besoins imprévus. D’autres moyens, destinés à repousser les capitaux parasites, ont été proposés dans le cours de la discussion, et n’ont pas été plus heureux. L’honorable M. Lanjuinais,