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Fouché, qui avait de l’affection pour lui ; ces le moment plutôt de rester, nous arrivons[1]. — Non, répondait Fauriel, ce n’est pas ainsi que je l’ai entendu. Quoi ! se mettre pour toute politique à la place des autres (on était à la veille du consulat à vie), c’est toujours à recommencer. J’avais d’autres idées et d’autres espérances. » Fauriel était sincèrement attaché aux principes de la révolution, et il ne pouvait se faire à l’idée de continuer de servir, alors qu’il voyait cette cause décidément abandonnée. Mais, dans le cas présent, les principes républicains fournissaient plutôt un prétexte à ses goûts littéraires indépendans et à son amour de retraite studieuse qui l’emportait. Nous le trouvons, au printemps de 1802, établi à la Maisonnette, dans le voisinage de Meulan, auprès de sa noble et digne amie la belle Mme de Condorcet. Il eut d’abord quelque velléité d’en sortir pour tenter la carrière diplomatique ; une lettre de Français de Nantes (thermidor an X) semble l’indiquer. Mais bientôt l’étude, l’amitié, le charme d’une société choisie, les plus doux liens l’enchaînèrent, et pendant des années il se contenta d’être heureux et de devenir de plus en plus savant, sans ambition, sans éclat, en silence :

Qui sapit, in tacito gaudeat ille sinu !

Fauriel, en 1802, est âgé de trente ans : s’il a au dedans toute la maturité de la jeunesse, sa figure en conserve encore les graces délicates. C’est un philosophe, ou plutôt un sage ; c’est un stoïcien aimable et sensible, c’est en même temps un investigateur sérieux et curieux de toute vérité. Mais, avant de nous mettre à dénombrer la suite et les objets de ses travaux si divers au sein de sa fortunée retraite, nous avons à revenir un peu sur ses relations antérieures durant ces deux premières années de séjour à Paris, et sur les premières productions littéraires de sa plume que nous avons pu ressaisir.

Mme de Staël venait de publier son livre de la Littérature considérée dans ses rapports avec les Institutions sociales ; elle connaissait peu Fauriel et depuis très peu de temps seulement. L’ayant vu auprès de Fouché, elle usait de lui pour obtenir journellement de ces services, alors si réclamés, et le savait assez vaguement un jeune homme de mérite. Elle lui envoya son livre un matin d’avril (1800), avant de quitter Paris[2], et bientôt une lettre de remerciemens, qu’elle eut à

  1. Fouché pourtant dut quelques mois après se retirer, le ministère de la police générale ayant été momentanément supprimé. Fauriel n’avait fait que prendre les devans.
  2. Voici le petit billet d’envoi : « Vous avez promis de vous occuper de l’affaire de M. de Narbonne, monsieur, car vous êtes inépuisable en bonté. — Je vous envoie mon livre. — Venez me voir un moment ce soir, vous me ferez un sensible plaisir. Mille complimens et remerciemens - Ce 7 floréal. »