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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/966

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des choses pareilles, si ce n’est pour des lecteurs comme vous, qui embrassent toute la sphère de la pensée, et qui sont en même temps savans, patiens, laborieux ? Le troisième cahier de ma Bibliothèque indienne doit être entre vos mains, et je souhaite qu’il vous satisfasse. Vous m’obligerez si vous voulez en faire au plus tôt un article dans la Revue encyclopédique[1]. J’ai aussi envoyé des exemplaires aux autres pandits de Paris. Chézy aurait dit parler depuis long temps de moi dans le Journal des Savans, et il devrait le faire encore à l’occasion de ce nouveau cahier ; mais, s’il est toujours dans le même abattement où je l’ai laissé, il n’y a rien à espérer de sa part. Saluez-le cependant bien cordialement de la mienne, et dites-lui, s’il veut me donner quelque chose pour ma Bibliothèque, qu’il sera toujours le bienvenu et que je m’offre comme son traducteur… (Et revenant à ses caractères, après quelques détails relatifs à leur perfectionnement :) Je suis vraiment confus de vous entretenir de telles minuties ; mais songez que, lorsque Brahma créa le monde, il soigna jusqu’aux antennes des fourmis. Et moi qui ne suis qu’un humble mortel, n’en ferai-je pas autant pour les caractères de cette belle langue révélée ?


L’année suivante (avril 1823), Schlegel chargeait encore celui qu’il vient d’honorer de tant de titres magnifiques, de collationner pour lui, à la Bibliothèque du roi, les manuscrits du Bhagavad-Gita dont il allait publier une version latine ; il en a consigné sa reconnaissance dans la préface. C’était le moment où Fauriel se disposait au voyage d’Italie : Schlegel aurait bien désiré l’attirer à Bonn, et il lui proposait, pour le tenter, de lui arranger une chambre d’études dans sa jolie petite bibliothèque, dont il lui avait fait plus d’une fois la description « La maison que j’occupe est spacieuse, et un ami brahmanique y serait commodément. » Fauriel se décida, sans beaucoup de lutte, pour sa chère Italie et pour Brusuglio. Mais, placé comme nous venons de le montrer, confident et un peu partner des meilleurs, une oreille aux brahmes, l’autre aux Lombards et aux Toscans, et, au sortir d’un épanchement d’Augustin Thierry sur les Anglo-Saxons, pouvant opter à volonté entre Milan et Bonn, entre Schlegel et Manzoni, on comprendra mieux, ce semble, toute son étendue intellectuelle et son rang caché.

La révolution de 1830 produisit enfin Fauriel, et ses amis, en arrivant au pouvoir, songèrent aussitôt à mettre sa science, trop longtemps réservée, en communication directe avec le public. Une chaire de littérature étrangère fut créée pour lui à la Faculté des lettres. Si

  1. Fauriel lit la note que Schlegel désirait, dans le Journal de la Société asiatique, t. I, p. 44.