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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/828

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tous ces chagrins sont finis ; vos sœurs sans doute vivent heureuses, et vous, jamais vous n’entrerez au couvent, n’est-ce pas ?

— Je crois que la volonté de mon père est de me garder près de lui, répondit la jeune fille ; oui, j’espère rester ici toujours….

— Et nous nous verrons souvent, et nous nous aimerons comme deux sœurs, n’est-ce pas ? reprit Éléonore.

— Oh ! oui, je le veux bien, s’écria Anastasie. Il me semble que je vous aime déjà presque autant que ma dernière sœur, ma pauvre Sidonie, qui s’appelle maintenant sœur Anne de la Trinité.

Elles demeurèrent un moment silencieuses et attendries ; puis, avec la mobilité d’impression naturelle à leur âge, elles se reprirent à parler de l’incident qui avait causé une si mortelle frayeur à Éléonore.

— Ma cousine, dit tout à coup Anastasie, quand vous étiez contre le parapet, criant au secours, vous appeliez votre mère, et puis encore une autre personne.

— Mon cousin Dominique, répondit Mlle Maragnon ; oh ! oui, je m’en souviens ; j’ai pensé à lui, je l’ai appelé.

— Ah ! vous avez un cousin que vous aimez aussi beaucoup ? dit Anastasie avec un naïf regret.

— Oui, ma belle Anastasie, et je vous le présenterai, et vous l’aimerez aussi un peu, j’espère…. C’est le fils de mon oncle, Jacques Maragnon, un bien honnête homme, et le plus riche négociant de Marseille.

— Je voudrais de tout mon cœur connaître toute votre famille, dit Anastasie avec quelque embarras ; mais mon père a ses idées. Qui sait, chère cousine, s’il permettra que j’aille vous rendre votre visite ?

— Oui, c’est douteux en effet, murmura Éléonore contristée par cette observation ; il n’a pas pardonné à ma mère, et pourtant, moi, j’ai trouvé grâce devant lui. Quoique je porte le nom de Maragnon, il m’a appelée sa nièce.

— Oui, sa nièce. Mlle de Belveser, répliqua Anastasie en hochant la tête. Enfin ! nous verrons quelle sera sa volonté. Et, dites-moi, cousine, M. Dominique est un jeune homme de l’âge de Gaston ?

— Oui, à peu près, répondit Éléonore ; et si vous saviez combien il est bon, combien il a d’esprit, et comme il est beau !

— Beau comme Gaston ? demanda ingénument Anastasie.

— Oh ! non, cousine, répondit sans hésiter Mlle Maragnon.

À travers tout ce babil, Mlle de Colobrières s’était levée pour avancer la table où la Rousse avait arrangé d’avance deux grandes tasses aunes, le pot de miel qui servait de sucrier, et un gros pain bis dans