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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1105

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il a prononcé des éloges d’hommes d’état ou de philosophes, et lu des mémoires approfondis sur certaines questions de l’histoire civile ou religieuse. Ces nombreux travaux ne l’ont pas empêché de poursuivre comme son œuvre essentielle l’Histoire de la Réformation, qui s’est encore plus enrichie que ralentie, nous assure-t-on, de tant de stations préliminaires, et qui, tout permet de l’espérer, couronnera dignement une carrière déjà si remplie.

Nous avons à dire quelques mots des principaux écrits que nous venons d’énumérer ; mais, avant tout, nous parlerons de la manière dont M. Mignet conçoit en général l’histoire elle-même. Il en eut de tout temps la vocation reconnaissable aux signes les plus manifestes les faits lui disaient naturellement quelque chose, ils prenaient pour lui un sens, un enchaînement étroit et une teneur. Ce qui lui paraît en général le plus facile, c’est le récit. Il l’a hautement prouvé et par ce livre de la Révolution, et par l’admirable tableau qu’il a donné des évènemens de Hollande et de la mort des frères de Witt dans le Recueil sur Louis XIV. Esprit scientifique et régulateur, il s’attache d’abord à séparer la partie mobile de l’histoire d’avec ce qu’il appelle sa partie fixe ; il embrasse du premier coup d’œil celle-ci, les grands résultats, les faits généraux qui ne sont que les lois d’une époque et d’une civilisation : c’est là, selon lui, la charpente, l’ostéologie, le côté infaillible de l’histoire. La part individuelle des intentions trouve à se loger et à se limiter dans les intervalles. Ce détail infini des intentions et des motifs divers ne donne, selon lui, que le temps avec sa couleur particulière, avec ses mœurs, ses passions, et quelquefois ses intérêts ; mais les circonstances déterminantes des grands évènemens sont ailleurs, et elles ne dépendent pas de si peu ; la marche de la civilisation et de l’humanité n’a pas été laissée à la merci des caprices de quelques-uns, même quand ces quelques-uns semblent les plus dirigeans.

J’expose et je m’efforce simplement de ne rien altérer dans une conception pleine de dignité et de vigueur. Quant à la partie si délicate et si ondoyante des intentions, M. Mignet pense que, pour les trois derniers siècles, on peut arriver à la presque certitude, même de ce côté ; car on a pour cet effet des instrumens directs : ce sont les correspondances et les papiers d’état, pièces difficiles sans doute à posséder, à étudier et à extraire ; mais, lorsqu’on y parvient, on surprend là les intentions des acteurs principaux, dans les préparatifs ou dans le cours de l’action et lorsqu’ils sont le moins en veine de