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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1141

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d’une royauté européenne de l’autre côté de l’Atlantique avaient été jetés en avant, et l’on prétend même que des ouvertures avaient été faites à la France pour la réalisation en commun de ce rêve favori du gouvernement britannique. Bien plus, s’il fallait en croire la presse de Madrid, les choses seraient très avancées. Le Tiempo, le Castellano, la Estrella, parlent déjà de la levée des bataillons destinés à installer cette jeune royauté, et désignent le prince et la princesse qui devraient occuper conjointement le trône. La révolution actuelle semble justifier ces bruits.

Cette révolution n’est qu’une phase nouvelle de la rivalité de l’Angleterre et des États-Unis en Amérique. En 1844, le cabinet anglais atteignit presque au but de ses desseins constans : Santa-Anna, sa créature, lui promettait la vente de la Californie ; le traité prêt, il n’y manquait que les signatures. Paredes brisa ces espérances en se faisant, sans le savoir, l’instrument de la politique des États-Unis : la révolution accomplie par lui en 1845 donna gain de cause à l’Union en détruisant les illusions dont l’Angleterre s’était bercée au sujet de la Californie ; mais le cabinet de Saint-James n’abandonne pas si facilement ses prétentions. Reste à savoir si sa politique prévaudra, reste à savoir si la royauté pourra jamais s’établir au Mexique. Dans tous les cas, à supposer que le principe monarchique jetât dans l’avenir de profondes racines sur le sol américain, l’intégrité du territoire en serait-elle mieux garantie pour le présent ? On ne peut certainement pas le supposer. Quel que soit le gouvernement qui naisse de cette révolution, il se trouve placé, comme le gouvernement de Santa-Anna, comme celui d’Herrera, entre la guerre et la paix, entre la signature du traité proposé par M. Slidell et une invasion qui ferait tomber au pouvoir de l’Union toutes les provinces septentrionales du Mexique.

L’Angleterre espère-t-elle que six millions d’hommes sans énergie, sans patriotisme, sans ressources, puissent résister à vingt-cinq millions de citoyens animés de la même ambition ? Croit-elle qu’une nation en décadence ; lors même qu’elle serait soutenue par son influence et ses encouragemens secrets, puisse tenir un mois seulement ses frontières fermées à un peuple enivré par l’orgueil d’un accroissement tel que l’histoire n’en a jamais constaté de semblable ? Non, telles ne sont pas les espérances de la Grande-Bretagne : on sait à Londres, mieux encore qu’à Paris, ce qu’est le Mexique ; on y connaît mieux que chez nous l’impossibilité dans laquelle se trouve ce pays de soutenir une lutte avec l’union du Nord. Aussi la Grande-Bretagne prend-elle d’avance ses précautions. En fomentant une guerre entre le Mexique et les États-Unis, elle presse peut-être, il est vrai, la marche des évènemens, elle accélère l’adjonction des provinces septentrionales de la république aux états de l’Union ; mais cette fusion doit avoir lieu tôt ou tard, et, par l’établissement d’un gouvernement de son fait, la Grande-Bretagne se donne le droit d’exiger une rémunération quelconque, par exemple, une hypothèque qui la mette en état de trancher plus tard la question pour son