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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/22

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engagement pour lequel vous n’êtes pas prête encore. En échangeant simplement votre habillement séculier contre la robe de l’ordre, vous n’êtes que postulante, et vous demeurez dans la condition des personnes du siècle que nous admettons à faire chez nous une retraite spirituelle.

— Hélas ! ma mère, répondit Anastasie avec un soupir, est-ce que je puis jamais retourner au monde !

— Après une année d’épreuves, nous verrons, mon enfant, répondit la mère Angélique ; jusque-là, vous ne prendrez point de nom de religion ; vous serez toujours mademoiselle de Colobrières.

— Ma mère, vous le savez, aucune fille de notre maison n’a gardé ce nom jusqu’à sa mort, observa Anastasie d’un ton mélancolique.

— Non pas même notre tante Agathe, fit la supérieure avec un soupir ; celle-là, l’on a vu comme elle avait la vocation ! Que serait devenue cette pauvre ame, si la Providence n’eût veillé à son salut ?

— Oh ! ma chère mère, s’écria Anastasie avec un singulier étonnement ; vous approuvez donc le mariage de notre tante avec Pierre Maragnon ?

— Oui, ma fille, je l’approuve, répondit la mère Angélique ; il vaut mieux mille fois qu’elle soit restée dans le monde en devenant la femme d’un roturier, que d’être entrée dans le cloître pour faire une mauvaise religieuse.

— Est-ce qu’il peut y avoir de mauvaises religieuses ? murmura Anastasie en levant involontairement les yeux vers les lugubres versets tracés sur la muraille.

— Oui, ma fille, il y en a, répondit la supérieure ; j’ai eu la douleur de voir, même dans cette maison, des religieuses qui détestaient intérieurement leurs vœux, et encouraient, par ces révoltes secrètes, la damnation éternelle. Aussi n’est-ce qu’après une longue épreuve que j’admets les novices à faire profession. Après la vêture, je surveille plus attentivement encore leur vocation, et, si je m’aperçois de la moindre tiédeur, j’ajourne leurs derniers vœux. Le Seigneur a béni mon intention ; il n’y a plus maintenant, parmi nous, de ces ames désespérées, et toutes nos sœurs avancent sans efforts dans la voie du salut.

— Quelquefois, ma chère mère, l’on a vu des novices ne pas persévérer dans leur vocation religieuse, dit Anastasie avec hésitation ; l’on en a vu qui ne trouvaient pas ici les consolations et le repos qu’elles attendaient.