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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/23

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— Il est vrai, ma fille ; celles-là, je leur montre la porte de clôture encore ouverte ; il faut qu’elles retournent au monde qu’elles regrettent. Hélas ! quand elles ne peuvent pas…

— Quand elles ne peuvent pas ? répéta Anastasie.

— Elles meurent, répondit tristement la mère Angélique.

— Et la novice qui avant moi demeurait dans cette cellule, elle est morte, ma mère ? reprit Mlle de Colobrières.

— Qui vous a dit cela, mon enfant ? demanda la supérieure étonnée ; qui vous a parlé de cette pauvre fille ?

Anastasie montra du doigt la muraille et fit signe à la mère Angélique de lire ce qui était écrit à côté de l’image de Notre-Dame-des-Douleurs. La supérieure déchiffra lentement ces caractères mal formés ; à mesure qu’elle en comprenait le sens, ses yeux s’obscurcissaient de larmes. Quand elle eut fini de lire, elle revint près d’Anastasie et lui dit simplement : — Elle s’appelait dans le monde Mlle de Lansac ; elle était orpheline et sans fortune. Un jeune homme riche et de grande naissance l’aima et voulut l’épouser ; mais il avait un père qui menaça de le déshériter s’il persistait dans ce projet de mariage, lequel devint ainsi réellement impossible, car Mlle de Lansac était elle-même de trop bonne maison pour passer par-dessus l’affront d’un tel refus. Comme toutes les filles de qualité qui n’ont point de dot pour entrer au couvent, elle vint ici. Malheureusement cette maison où elle fut accueillie dans sa détresse ne put pas être pour elle un refuge contre les peines intérieures qu’elle y avait apportées. Elle languit deux ans dans des alternatives de ferveur et de dégoût, de désespoir et de tranquillité, puis elle mourut.

Ce simple récit émut profondément Anastasie. Il y avait dans la destinée de Mlle de Lansac et sa propre situation une douloureuse similitude ; elle se releva baignée de larmes et répéta au fond de son cœur les paroles de Job : « Le tombeau sera ma demeure, et je reposerai dans les ténèbres éternelles… »

En ce moment, l’horloge du parloir sonna cinq heures, et presque en même temps la cloche se fit entendre.

— C’est le premier coup de la messe, dit la mère Angélique ; habillez-vous, ma fille ; il faut descendre au chœur.

Alors Mlle de Colobrières revêtit la robe de bure grise et le long scapulaire blanc ; elle tordit les longues tresses de sa chevelure et les enferma sous un béguin, puis elle mit la guimpe et le voile. Ce costume austère donnait à son visage une ineffable beauté : l’on eût dit sainte Thérèse dans la mélancolique ferveur de sa première vocation,