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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/24

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lorsque, retenue encore par le monde, mais aspirant déjà au ciel, elle priait prosternée dans son oratoire, en fermant son oreille aux nocturnes sérénades des jeunes cavaliers d’Avila. La mère Angélique attacha elle-même le crucifix sur la poitrine de la jeune novice, ensuite elle lui dit : — Ma chère fille, vous allez recommencer aujourd’hui tout ce que vous avez fait hier ; ici toutes les journées se ressemblent exactement, et vous pourrez connaître d’avance l’emploi de votre vie jusqu’à sa dernière heure.

Le cadet de Colobrières allait chaque soir passer une heure au parloir du couvent de la Miséricorde ; le reste du temps, il vivait fort désœuvré, ne sachant comment employer ses longues journées. D’abord il avait essayé de se distraire et même de se divertir un peu ; mais il ne savait vraiment en quoi consistaient les plaisirs de la grande ville, et il se bornait à se promener dans les rues en examinant la devanture de toutes les boutiques, comme un pauvre provincial qu’il était. Tout concourait à augmenter son ennui : l’on était encore en plein hiver ; le ciel couvert de nuages immobiles distillait une pluie continuelle dans l’atmosphère enveloppée de brouillards. Gaston faisait de tristes promenades sur les pavés glissans, à travers la foule effarée qui le coudoyait, et au milieu de laquelle il aurait en vain cherché un visage ami. Lambin aussi était triste quand il suivait son maître à travers ce labyrinthe de rues, et plus d’une fois les passans mal avisés, qui lui marchaient sur la patte, éprouvèrent les effets de sa mauvaise humeur silencieuse.

Bientôt le cadet de Colobrières se lassa de ces courses sans but ; il ne sortit plus de la journée, et attendit dans sa chambre l’heure de se rendre au couvent. Dès le lendemain de son arrivée à Paris, il avait, sur la recommandation de la mère Angélique, transporté son domicile chez une femme dévote qui tenait une espèce d’hôtel garni dans la rue de la Parcheminerie. Quelques étudians en droit et en médecine, jeunes gens de bonne vie et mœurs, remplis de science et fort légers d’argent, étaient les commensaux de cette maison ; mais Gaston était trop timide et trop sauvage pour se lier avec eux, et toutes les relations se bornaient à un salut lorsqu’on se rencontrait dans l’escalier.

Le logement du jeune gentilhomme consistait en une chambre unique située au quatrième étage, et dont l’ameublement était pour le moins aussi délabré que celui de la chambre qu’il occupait dans le château paternel. C’était pourtant un autre genre de vétusté : à Colobrières les débris de l’ancien mobilier offraient encore quelques traces des splendeurs passées ; l’on voyait que c’était le temps qui d’un ongle