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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/258

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ses soucis et ceux de l’empire dans la compagnie de son nouveau mignon, dont le nom vulgaire de Korsak est déjà changé pour le nom mieux sonnant de Korsakoff. »

Mais, pendant ces péripéties, l’ancien favori, Sabadowsky, qui avait été rappelé, était arrivé à la cour, et il demandait d’un ton très chagrin pourquoi on l’avait dérangé. On lui donna pour indemnité une place dans le sénat ; mais, hélas ! quinze jours après, le nouveau fonctionnaire était hors de service. « Il y a, écrivait M. Harris, plusieurs concurrens pour la place vacante : quelques-uns soutenus par le prince Potemkin, d’autres par le prince Orloff et le comte Panin, qui maintenant sont d’accord, d’autres enfin seulement par l’impression que leur tournure a faite sur l’impératrice. Les deux partis s’unissent pour empêcher le succès de ces hommes indépendans, mais elle paraît très disposée à choisir par elle-même. Potemkin, dont l’insolence égale le pouvoir, a été si mécontent de n’avoir pas à lui seul la disposition de ce poste, qu’il s’est absenté de la cour pendant plusieurs jours. Le sort de ces jeunes gens reste incertain, quoiqu’il paraisse décidé que Korsakoff sera envoyé aux eaux de Spa pour sa santé. Comme les dernières traces de décence que l’on gardait encore à l’époque de mon arrivée ici ont disparu, je ne serais pas étonné qu’au lieu d’un favori on en prît plusieurs. »

Cependant le choix de Catherine parut tomber sur un secrétaire du comte Panin, appelé Strackoff, que l’impératrice avait remarqué dans un bal ; mais celui-là n’entra pas officiellement en fonctions, il ne vit l’impératrice qu’en secret, et Korsakoff resta prince régnant. Un autre aspirant, qui n’avait point réussi, se poignarda de désespoir. On cacha autant que possible cet intéressant malheur à Catherine ; pourtant elle finit par l’apprendre, et elle en fut tout-à-fait affligée. Sa douleur ne pouvait durer bien long-temps ; elle donna à Korsakoff son congé définitif, avec le conseil de voyager ou de se marier. Le successeur fut un nommé Landskoy, un chevalier aux gardes ; comme il n’avait pas été fourni par Potemkin, celui-ci fut très irrité, et ne fut apaisé que par un présent de 900,000 roubles le jour de sa naissance. Landskoy était jeune, bien fait, et de bon caractère ; mais il avait une nuée de cousins, qui s’abattirent sur la cour comme des sauterelles pour participer à la curée.

Ici la scène change. Tout à l’heure nous avions un favori qu’on n’osait pas renvoyer, parce qu’il cassait les vitres ; en voici un maintenant qu’on ne peut pas congédier, parce qu’il a trop bon naturel. Ce pauvre Landskoy n’est ni jaloux, ni inconstant, ni impertinent ; il