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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/271

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laissaient apercevoir le visage plein, coloré, encore régulièrement beau d’un homme sur le retour de l’âge, et le profil délicat d’une toute jeune fille blonde, mignonne, jolie et fraîche comme une fleur. À l’aspect de ces deux figures, une sorte de murmure s’éleva parmi les voisins et les passans. Ce fut comme une sourde explosion des idées qui, à cette époque, fermentaient dans toutes les têtes. —Oh ! le monstre de père qui mène cette belle enfant au couvent ! s’écria une bonne femme avec indignation ; elle est trop grandelette pour y entrer comme pensionnaire ; certainement elle vient prendre le voile de novice….

— Autant vaudrait dire que ce père dénaturé va l’enterrer vivante, ajouta un vieux rentier célibataire ; quelle barbarie ! Ravir à la société ces jeunes vierges que la nature destinait à devenir de tendres épouse », de vertueuses mères de famille ; les ensevelir dans la solitude glacée d’un cloître ! Malheur à l’homme qui accomplit ce crime abominable, le crime de lèse-humanité !…

— Combien de victimes ont déjà disparu dans ce sépulcre ! s’écria un monsieur tout habillé de noir en se tournant vers le vieux rentier comme pour lui donner la réplique, combien d’innocentes beautés immolées au fanatisme !…

— Levez-vous à ma voix, victimes malheureuses !
Levez-vous ! entendez mes plaintes douloureuses !
Accablez avec moi l’oppresseur abhorré,
Dont je n’ai pu fléchir le cœur dénaturé !


déclama emphatiquement, en jetant des regards furieux sur l’oncle Maragnon, un jeune commis bel esprit qui avait lu la Mélanie de La Harpe.

Pendant cette explosion de propos interrompus, la chaise de poste avait tourné ; elle entra dans la petite cour qui précédait les bâtimens claustraux, et la lourde porte du couvent se referma sans bruit au nez des curieux.

Une sœur converse se présenta, aida les voyageurs à descendre, leur fit une révérence discrète, et les invita à entrer. Ils la suivirent dans les demi-ténèbres d’un escalier étroit et raide qui aboutissait à une salle où elle les laissa. Cette pièce était la partie extérieure du parloir, l’endroit réservé aux personnes séculières qui venaient visiter les recluses. Le rideau noir tiré devant la grille contrastait d’une façon lugubre avec la blancheur des murailles, et donnait un certain air sépulcral à cette petite salle, où une croisée à vitres en losanges répandait un jour faux et verdâtre. Le mobilier était à l’avenant de