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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/292

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Dieu me fait bien des grâces, il accomplit un vœu que je n’aurais pas même osé former….. Ma chère Anastasie, mon enfant bien-aimé, vous m’êtes aussi rendue… que béni soit ce jour !… — Elle joignit les mains, et ajouta en levant les yeux au ciel : Oh ! si votre père était avec nous !…

— Mon père ! dit timidement Anastasie ; hélas, il n’est donc pas ici ?

— Il est parti depuis hier avec Tonin, répondit la baronne ; je devais aller le rejoindre bientôt.

— Et où donc est-il allé, ma mère ? demanda Anastasie.

— Il a émigré de l’autre côté du Var, répondit en soupirant Mme de Colobrières ; c’était une idée qu’il avait en tête depuis long-temps. Il s’est passé bien des évènemens dans le pays, dont il a été fort indigné ; les petites gens insultent la noblesse ; les paysans pillent et brûlent les châteaux. Au milieu de tous ces déportemens, nous n’avons pas souffert le moindre dommage ; mais votre père ne pouvait plus supporter la vue de ces calamités : il avait d’ailleurs l’idée que tôt ou tard nous serions victimes des révolutionnaires, et la nuit dernière, accompagné de Tonin, il a passé la frontière ; d’un moment à l’autre j’attends de ses nouvelles. Sans doute, il me mandera d’aller le rejoindre à l’étranger ; vous viendrez avec moi, mes chères filles ; heureusement ce n’est pas loin.

La Rousse s’en était allée tout droit à sa cuisine ; elle avait fouillé l’armoire aux provisions, et, sans rien dire, elle s’était mise à préparer le souper. Lorsqu’elle vint mettre le couvert, la baronne s’écria : — Est-ce qu’il y aura quelque chose à mettre sur la table ? depuis hier je ne me suis pas souvenue de manger….

Pendant le souper, la Rousse, qui était sortie un moment, rentra dans la salle tout effarée : — Jésus ! mon Sauveur ! dit-elle, il se passe quelque chose d’extraordinaire là-bas dans le village….

La baronne et ses filles coururent sur la plate-forme : en effet, on entendait dans l’éloignement sonner le tocsin, et la clarté d’un incendie jaillissait à l’horizon.

— L’on a encore mis le feu à quelque château ! s’écria Mlle de Colobrières ; grand Dieu ! mettez un terme à toutes ces calamités…. Pourvu que M. le baron soit en sûreté de l’autre côté de la rivière !…

— Le tocsin sonne à l’église du village de Belveser, dit Anastasie avec inquiétude ; qui sait si ces méchantes gens n’essaient pas de brûler le château de ma tante ?

— Soyez tranquille, ma fille ; ils s’en garderaient bien, répondit la baronne ; le jeune Maragnon est à la tête de ce qu’ils appellent la