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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/293

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commune ; on l’a nommé maire de l’endroit, et il fait une rude guerre aux malfaiteurs.

Le cœur d’Anastasie tressaillit à ce nom ; les plus doux souvenirs de sa vie se retracèrent à sa pensée, et elle eut comme un pressentiment que le bonheur qu’elle regrettait n’était pas à jamais fini. La baronne retint long-temps ses filles auprès d’elle ce soir-là, puis elle les ramena dans la petite chambre qu’elles occupaient jadis. Ce réduit, si long-temps abandonné, n’était presque plus habitable ; le chardon de sinople était effacé par les efflorescences du plâtre ; le vent avait enfoncé la fenêtre, et les hirondelles nichaient sous les ailes des chérubins. La mère Angélique parcourut d’un œil attendri ce lieu dévasté, et dit en regardant le lit : — Je me souviens encore du jour où ma tante Agathe m’embrassa en pleurant avant d’aller se marier avec Pierre Maragnon, et me laissa ici à sa place.

— Pauvre femme ! murmura la baronne en soupirant, je n’espère pas qu’il me soit jamais permis de la revoir.

— Qui sait, ma mère ? s’écria Anastasie ; tant de choses qui paraissaient immuables ont changé déjà !…

Ces paroles furent comme une prophétie ; le lendemain, un messager, envoyé par Éléonore, apporta une nouvelle inouie : le vieux baron de Colobrières et son domestique Tonin, après avoir passé une seule nuit sur le territoire du comté de Nice, avaient de nouveau franchi le Var, et s’étaient retrouvés en France ; l’on n’expliquait point clairement par quel motif ils étaient revenus ainsi sur leurs pas. À peine de retour, ils étaient tombés au pouvoir d’une de ces bandes armées qui de temps en temps battaient le pays, et ils auraient couru de grands dangers sans l’intervention du jeune Maragnon, lequel, après les avoir délivrés, les ramenait à Belveser. Éléonore écrivait à la baronne, au nom de sa mère, la suppliant de quitter le château, où peut-être elle n’était plus en sûreté, et de venir sur-le-champ avec ses filles se réfugier à Belveser, où son mari la rejoindrait le jour même.

Ce fut une touchante entrevue que celle de la baronne avec sa belle-sœur. Mme Maragnon vint au-devant d’elle, l’embrassa avec effusion, la considéra un moment avec un mélancolique attendrissement, et s’écria : — Oh ! ma sœur, je vous aurais bien reconnue pourtant !… Puis, apercevant derrière la baronne le visage charmant d’Anastasie, elle ajouta vivement : — C’est vous ! Vous voilà telle que je vous laissai il y a trente ans !

Un peu plus tard, le baron arriva escorté de Dominique Maragnon et de quelques honnêtes villageois armés de leurs fusils de chasse ; le