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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/581

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cape, et sous quel prétexte, monsieur ! sous prétexte qu’il suffisait d’endosser l’uniforme d’étudiant pour faire incognito un mauvais coup au coin des rues. A la vérité, Esteller a reçu naguère une cinquantaine de coups de couteau ; mais cela ne nous rend pas notre cape, et on parle déjà de la proscrire partout. Plus d’habit de corps, plus de privilège de corps. Les señoras nous riront au nez, les hommes prendront mal nos plaisanteries, l’alguazil nous traitera comme des marchands d’oranges. Il n’est pas jusqu’à cette bonne camaraderie de l’école et de l’armée qui ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Figurez-vous le malheureux étudiant sans cape, arrêtant l’officier en habit de gala, pour lui débiter notre vieux couplet de passe :

Estudiantes y militares
Formemos una misma tropa :
Vosostros para les armas,
Nosotros para la sopa[1]


L’officier tournera dédaigneusement le dos… et il aura raison : l’écolier en frac rentre dans les conditions d’un modeste bourgeois qui pince de la guitare. C’est triste, et, pour ma part, j’ai bonne envie d’aller suspendre mon tambour de basque aux saules d’Oviédo, noble patrie du gentilhomme qui a l’honneur d’entretenir avec vous cette agréable causerie. Je donne jusqu’à nouvel ordre ma démission d’étudiant. A telle enseigne, excellence, que s’il vous faut un secrétaire, un majordome, un cocher, un précepteur pour votre jeune frère ou un maître à danser pour votre petite sœur, je suis licencié en théologie, Asturien et fidèle, et tout-à-fait votre serviteur. »

Je remerciai don Nicomédès, qui n’était pas, comme on pourrait le supposer, un mauvais plaisant. Dans ce pays, où les universités sont accessibles au plus pauvre et où la domesticité n’a rien de dégradant, il est très ordinaire de donner ses habits à brosser à un bachelier, voire un licencié en droit canon. Les piliers de l’hôtel des postes à Madrid sont garnis de petits placards écrits à la main, où un étudiant, presque toujours Asturien ou Galicien, et invariablement orné de « vingt-deux ans » joints « à une belle figure, hermosa prestancia, » fait aux amateurs l’énumération de ses aptitudes, depuis celle de secrétaire jusqu’à celle d’aide-de-cuisine, et s’offre à servir indifféremment un « gentilhomme en voyage » ou « une dame seule. » Les vingt-deux ans sont à l’adresse de la dame seule.

Don Nicomédès était un puits d’anecdotes toutes saupoudrées de ce sel estudiantino qui défie la traduction. Je regrette surtout de ne pouvoir rendre, dans la piquante excentricité de l’original, le récit des tribulations subies par la petite troupe dans le trajet qu’elle avait dû faire en France pour

  1. « Écoliers et soldats, — formons une même troupe, — vous pour les combats - et nous pour la soupe. »