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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/598

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rougir à tour de rôle les señoras du voisinage, que le médisant improvisateur finissait, du reste, par comparer à toutes les fleurs d’un parterre et à toutes les saintes du paradis. De stations en stations, la rondalla arriva sous le balcon de ma voisine de gauche, divine blonde de ce beau sang flamand qui, en Espagne, s’est conservé si pur, quoique adouci, depuis le règne de Charles-Quint, et ma voisine obtint les trois couplets suivans, qui, je regrette de le dire, n’étaient pas une improvisation :

Y los angeles del eielo,
A quien Dios mismo formò,
Truecan lo blanco por duelo,
Porque no son en el suelo,
A miraros como yò.

Y las hermosas pasadas
Que fueron ya desta vida
Son contentas y pagadas,
Porque fueron enterradas
Primero que vos nacida.

Y los difuntos pasados,
Por mucho santos que fuesen,
En la gloria son penados,
Descontentos, no pagados,
Por morir sin que os viesen[1]

L’intermède des guitares et des mandores reprit ; mais, dès les premières mesures, les musiciens s’arrêtèrent déconcertés : une cinquantaine de voix chantaient sur un autre air à deux cents pas de là, du côté de la rue de las Botigas ondas. — Sainte Vierge ! voici maintenant les autres ! s’écria le peuple féminin des balcons avec de petites frayeurs mêlées de plaisir. — Les autres ! répétèrent les concertans furieux à travers un déluge d’épouvantables jurons. La seconde troupe continuait imperturbablement son air, la première reprit le sien, et elles s’avancèrent l’une contre l’autre en raclant de la guitare sur des tons différens. Au moment de la rencontre, chaque troupe émit la prétention de tenir la rue, et on tira les couteaux simple rivalité de sociétés philharmoniques. Tous les quartiers de Saragosse avaient, de temps immémorial, à cette époque, leurs troupes d’amateurs, aussi divisées entre

  1. « … Et les anges du ciel, — que Dieu lui-même a formés, — changent le blanc en deuil, — n’étant pas sur la terre - à vous voir comme moi.

    « Et les belles d’autrefois, — qui ne sont plus de cette vie, — sont heureuses et récompensées, — puisqu’elles étaient enterrées - avant que vous fussiez née.

    « Et les trépassés d’autrefois, — tout saints qu’ils fussent, — pleurent dans la gloire, — malheureux et sans récompense, — pour être morts sans vous voir. »