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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/644

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a priori que le mouvement le plus vrai est le mouvement circulaire, quitte à trouver bientôt d’excellentes raisons pour prouver, toujours a priori, que le mouvement des planètes doit être elliptique ; quand je vois un métaphysicien du XIXe siècle déduire la ligne du point, la surface de la ligne, le solide de la surface, croyant ainsi transformer de purs nombres en corps, des abstractions en réalités, il me semble, je l’avoue, que je recule de plus de deux mille années, et je me reporte à ces jours d’innocence de la philosophie que nous retrace si bien Aristote, où rien n’avait encore altéré la foi naïve de la spéculation en elle-même. L’auteur de la Métaphysique est ici vraiment admirable de bon sens et de haute ironie :

« Tout ce que les pythagoriciens, nous dit-il, pouvaient montrer dans les nombres qui s’accordât avec les phénomènes, ils le recueillirent et ils en composèrent un système ; et, si quelque chose manquait, ils y suppléaient, pour que le système fût bien d’accord et complet[1]. »

N’est-ce point là la logique hégélienne au berceau ? et que pourrait-on opposer à la physique chimérique du philosophe de Berlin, qui fût plus fort que ces paroles qu’adresse Aristote aux métaphysiciens-géomètres de la grande Grèce :

«  Les êtres mathématiques sont sans mouvement Comment pourra-t-il y avoir du mouvement, si on ne suppose d’autres sujets que le fini et l’infini, le pair et l’impair ? Comment rendront-ils compte de la légèreté et de la pesanteur ? Aussi n’ont-ils rien dit de bon sur le feu, la terre et les autres choses semblables, parce qu’ils n’ont rien dit, je pense, qui convienne proprement aux choses sensibles… De nos jours, les mathématiques sont devenues la philosophie tout entière[2].

Au lieu de mathématiques, lisez logique, et ce passage vient, après deux mille ans, accabler les hégéliens du bon sens immortel d’Aristote ; mais, sans remonter à ces temps primitifs de la philosophie, je trouve au déclin de la civilisation grecque et romaine un mouvement philosophique plein d’analogies curieuses avec celui qui agite depuis soixante ans l’Allemagne. Je veux parler de la philosophie alexandrine. Elle aussi avait été précédée par un radical scepticisme, celui d’Énésidème et d’Agrippa. Elle aussi s’élança à l’extrémité contraire, pour embrasser le fantôme de la science absolue et celui de la méthode

  1. Aristotte, Métaphysique, I, 4.
  2. Id., ibid., 7 et 8.