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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/645

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rationnelle. Comme Hegel, Plotin dédaigne l’expérience ; comme lui, il prétend saisir l’ordre absolu des choses, et non-seulement le saisir, mais le déduire et le démontrer ; tous deux admettent dans l’être un mouvement dialectique qui se réfléchit dans la science et identifie la raison et l’être dans l’idée. A Alexandrie comme à Berlin, on voit clair dans les mystères de l’essence divine ; on la décompose en trois élémens à la fois distincts et inséparables, trinité primitive qui se retrouve au fond de toute chose et de toute pensée. Cette trinité devient pour les deux écoles une baguette magique qui fait tomber tout voile, éclaircit toute obscurité, efface toute différence. Les systèmes philosophiques se rapprochent, les symboles religieux se confondent, tout se pénètre et s’unit. Au sommet de la trinité, par-delà toutes les déterminations de la pensée et de l’être, l’unité absolue, indéterminée, identité du néant et de l’existence, centre où toutes les contradictions se perdent et s’identifient, source d’où tout s’épanche et où tout revient, abîme où la pensée humaine, après avoir parcouru le cercle nécessaire de ses révolutions, vient chercher le repos dans l’anéantissement de la conscience et de la personne.

Ainsi, même principe, la recherche de la science absolue ; même méthode, la spéculation toute rationnelle ; mêmes résultats, l’identité de la pensée et de l’être, l’identité des contradictoires, l’unification de l’homme avec Dieu.

Que d’autres signalent les différences ; pour nous, nous n’avons dû chercher que les analogies, estimant utile, avant que de combattre de front la méthode germanique, de constater qu’elle a déjà traversé plus d’une épreuve et subi plus d’une mémorable condamnation.

Demandons-nous maintenant sur quoi repose, en définitive, cette méthode altière du haut de laquelle la philosophie allemande regarde avec dédain ce qu’il lui plaît d’appeler l’empirisme français ? On est confondu, quand on adresse cette question à l’Allemagne elle-même, de trouver un si frappant contraste entre la hauteur de ses prétentions et la vanité des titres sur lesquels elle prétend les appuyer. Il y a déjà quelques années, Schelling ressaisit la plume avec éclat, après un silence qui étonnait et affligeait tous les amis de la philosophie, pour prendre en main la défense d’une méthode bien compromise, et pour l’opposer à celle que la philosophie française s’honore d’avoir héritée de Descartes[1]. Certes, on ne saurait donner à la méthode

  1. Voyez l’écrit intitulé : Jugement de M. Schelling sur la philosophie de M. Cousin. 1835.