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le groupe des sept comtés de l’est, ayant pour chef unique le fermier calviniste de Huntingdon ; on le voit, c’est l’homme de sa cause, celui qui la sert le mieux.

A la première affaire, à Edgehill, il juge que les commis (apprentices) de Londres et les fils de marchands de vin (tapsters), enrégimentés par les communes, ont de la peine à tenir contre des cavaliers faits au métier des armes ; il communique sa remarque à son cousin Hampden.

— Nos ennemis sont gens d'honneur, répond Hampden.

— A l’honneur il faut opposer la religion.

Telle est la réponse de Cromwell ; reconnaissant que l’irrégularité serait battue par l’ordre, il se met à chercher l’ordre dans le fanatisme, un ordre bien plus sévère et bien plus profond. On peut voir dans d’Israëli et Butler ce qu’était l’armée puritaine et ce qu’il en fit. Amas de haillons et de lèchefrites, de broches et de pioches, de bourgeois et de petits garçons, elle s’organisa, et battit les meilleures troupes de l’Europe. Cromwell avait compris que la piété, qui est un amour formateur et transformateur, remplacerait l’expérience ; de ses hommes il fit des moines armés, des moines calvinistes prêts à tout ; il les enivra de l’orgueil de leur grandeur, et n’eut pas de peine, car lui-même avait cet orgueil et cette grandeur.

Voilà donc le personnage le plus calviniste du pays devenu le premier chef militaire ; les conséquences sont faciles à deviner. Premier calviniste, premier soldat, où n’ira-t-il pas dans un temps où le pouvoir est réservé au calvinisme, et au triomphe militaire ?

Le grand acte de Cromwell fut de régulariser l’armée par le fanatisme. Hume et Lingard n’en parlent pas ; lui-même s’en souvient bien dans ses discours au parlement, où il répète incessamment qu’il a décidé le triomphe de la cause en faisant de ses hommes de guerre des hommes bibliques. Tout fut décidé par cette transformation. Dans les engagemens auxquels les troupes « régulières et dévotes » de Cromwell prirent part, elles eurent invariablement le dessus. Déjà, dans un ouvrage où nous avons voulu grouper les détails de mœurs les plus vivement caractéristiques du mouvement social à cette époque, nous avions signalé, sans posséder encore les documens nouveaux dont Carlyle étaie notre opinion, cette action décisive de Cromwell.

C’était un curieux spectacle, disions-nous, que l’armée puritaine en marche. La caricature y dominait, surtout au commencement de la campagne. — « Ils sont armés de toutes pièces, dit un royaliste, habillés, de toutes les couleurs et vêtus de tous les haillons. Il y a des piques,