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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/751

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s’associe à la fortune décroissante d’un théâtre, et s’expose de gaieté de cœur à tous les risques d’une exécution défavorable ? Après tout, un auteur est bien le maître de confier son œuvre à qui bon lui semble, et, si l’Opéra-Comique trouve le secret de se procurer de jeunes voix, des talens progressifs et disciplinables, pourquoi, je le demande, n’irait-on pas à l’Opéra-Comique ? L’impulsion une fois donnée, chacun la suit : hier c’était M. Halévy, demain, le croira-t-on ? ce sera M. Meyerbeer lui-même. Les moutons de Panurge savent parfois bien ce qu’ils font. Le prince Esterhazy ayant un jour voulu réformer, pour des motifs d’économie, la musique particulière qu’il entretenait en véritable souverain, Haydn, son maître de chapelle, composa une symphonie dans laquelle les parties furent arrangées de telle sorte que chaque musicien, à un moment donné, devait s’arrêter, souffler sa bougie, et se retirer après avoir respectueusement salué l’assemblée. Du premier au dernier, tous décampèrent successivement, si bien qu’il y eut un instant où il n’en restait qu’un seul, lequel, après s’être escrimé du plus beau sang-froid, prit son violon sous le bras, et, soufflant la dernière bougie, se retira, non sans avoir fait, comme les autres, une profonde révérence à son altesse. N’est-ce point là un peu l’histoire des musiciens dont nous parlons vis-à-vis de M. le directeur de l’Opéra ? Eux aussi lui tirent leur chapeau, soufflent la bougie et s’en vont. On raconte que le prince trouva la plaisanterie du maestro si ingénieuse, qu’il changea d’avis immédiatement et garda sa chapelle : sur quoi le bon Haydn de se remettre à l’œuvre et de varier sa symphonie. Cette fois les choses se passèrent tout au rebours de l’autre. Au lieu d’aller decrescendo, la musique et les lumières allèrent en augmentant. On en vit venir un d’abord, puis deux, puis trois, puis quatre, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’un tutti complet vînt proclamer la rentrée en fonctions de la chapelle entière. Peut-être ne dépendrait-il que de M. Pillet de ramener ainsi tout son monde, avec cette différence toutefois qu’ici la volonté ne suffit pas ; il faut des actes, et, à moins qu’on ne réussisse à trouver un successeur à M. Duprez, et à créer une situation qui permette aux auteurs la liberté du choix, nous ne pensons pas qu’on puisse espérer de voir changer le cours des choses. — En attendant, nous avons M. Balfe. Tandis que l’auteur des Huguenots et l’auteur de la Juive émigrent du côté de l’Opéra-Comique, le chantre du Puits d’Amour passe à l’Académie royale ; quoi de plus simple ? M. Balfe appartient à cette catégorie de musiciens qui chantent leur musique et pensent, non sans raison peut-être, qu’en ce monde une honnête médiocrité qui sait s’imposer aux gens vaut mieux que le génie. Industrieux, svelte, possédant à un certain degré cette rouerie qu’on peut au besoin prendre pour du talent, une partition lui coûte à peine cinq semaines, et encore, pendant qu’il l’écrit, croyez qu’il ne néglige rien pour en préparer la mise en scène. Si Donizetti pouvait avoir une ombre, M. Balfe serait cette ombre. Toujours est-il qu’il réussit. M. Reber attendra des années encore que son tour vienne, et, malgré les glorieux débuts de l’auteur du Désert, nous ne voudrions rien