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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/816

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comme aurait pu faire Mlle de Scudéry elle-même après tant d’observations désintéressées, ou Mme de Longueville après une si longue expérience personnelle. Cependant ces entretiens sont une des parties du livre les plus dignes d’attention ; ils sont souvent ingénieux et spirituels, remplis d’observations fines et délicates. C’est d’ailleurs un tableau fidèle des conversations du temps. Toute une société a contribué à ce roman, comme une génération entière a pris part, dit-on, aux poèmes homériques ; et il était naturel que ce fût une femme qui se chargeât de réunir et de publier cette épopée de la conversation galante au XVIIe siècle.

Mlle de Scudéry renonça bientôt à cette forme du roman qui la gênait ; et, au lieu d’encadrer ses dissertations dans une bordure historique qui ne leur convenait guère, elle publia une série de conversations ou d’entretiens sur divers sujets de morale. Ce genre plus grave était d’ailleurs plus convenable à son âge et lui réussit : cet ouvrage est sans doute ce qu’elle a fait de meilleur, sinon de plus curieux. On y trouve la délicatesse et l’élévation ordinaire de son ame, et le style en est agréable. Il ne faudrait pas croire en effet que le style de Mlle de Scudéry soit aussi affecté et aussi prétentieux que les aventures de ses héros et les sentimens qu’elle leur prête ; il est simple en général, et presque toujours assez négligé, surtout dans ses romans, qu’elle écrivait à la hâte. Les mêmes formes y reviennent souvent ; on ne saurait croire par exemple combien il y a de phrases qui commencent par ces tournures lourdes et gauches : si bien que… de sorte que… joint que. C’est le raffinement dans la métaphysique amoureuse, c’est la subtilité dans les sentimens qu’il faut critiquer en elle ; mais son langage est presque toujours assez naturel, surtout quand on le compare à celui de Balzac et de Voiture, si vantés à l’hôtel de Rambouillet.

La société de Mme de Rambouillet s’était peu à peu dissoute : plusieurs sociétés moins illustres en avaient recueilli les débris. Mlle de Scudéry eut ses réunions, et ses samedis devinrent bientôt célèbres. Pellisson, Sarrazin, Godeau, Conrart, Chapelain, M. de Montausier, en étaient les habitués. Chacun y avait un nom de roman, ordinairement celui sous lequel il avait été désigné dans le Cyrus ou la Clélie : Conrart, Théodamas ; Pellisson, Herminius ou Acante ; Sarrazin, Amilcar ou Polyandre, etc. Godeau, évêque de Vence, petit et chétif après s’être intitulé le nain de Julie à l’hôtel de Rambouillet, s’appelait chez Sapho le mage de Sidon, ou bien encore le mage de Tendre. Les conversations roulaient d’ordinaire sur des sujets d’amour, comme