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et foulée aux pieds de tous. On vit un nommé John Davy, surnommé Theauro John, c’est-à-dire Souffle-de-Dieu, entrer dans la chambre des communes l’épée nue, frapper d’estoc et de taille, et s’écrier : « Que faites-vous là ? Dieu le défend ! » - Un fou plus pacifique et plus doux, le cordonnier George Fox, obéit à Dieu d’une façon moins violente ; Dieu lui ordonne de se faire une culotte de peau, et il la fait, — de s’en revêtir, et il obéit, — de s’en aller prêcher, une Bible sous le bras, l’inspiration divine et la nécessité de suivre aveuglément l’instinct, il cède à cette injonction suprême. Indépendant de tout le genre humain, il quitte sa boutique, et descend lentement la jolie vallée de Bever ou Belvoir, « où l’éternel firmament couvre et protège de pauvres toits de chaume, et où le vent qui murmure agite à peine la colonne de fumée qui sort de ces toits. » Il entend du sein de ces chaumières des voix douces qui lui crient : « Sauvez nos ames, sauvez-nous ! » et il continue sa route, pour obéir à ces voix ; il entre dans les cabanes, prêche la doctrine de l’impulsion divine, de l’esprit saint qu’on doit écouter, et fonde la nation des quakers. Ainsi se développe, en face du spiritualisme catholique de Rome, le spiritualisme calviniste, qui ne tarde pas à produire des monstres étranges.

C’est au protecteur Cromwell qu’il appartient de les écraser, bien qu’ils renaissent comme l’hydre de Lerne, et que ce travail d’Hercule ne soit pas sans danger : le calvinisme ne doit point frapper sa propre racine. Cromwell se montre assez clément. Le pal, le lacet et la hache, que ses communes voudraient employer contre les rebelles, lui semblent de surérogation ; il ne tue et ne mutile pas ; la prison et quelques amendes bénignes lui suffisent. Aussi Bunyan, le troupier-chaudronnier calviniste, et Fox, « qui a trouvé des ames fort tendres dans la vallée de Bever, » poursuivent-ils leurs croisades mystiques ; on les enferme de temps en temps dans une geôle, et ils vont leur train. Au mois d’octobre 1655, huit hommes et femmes, le premier à cheval et escorté de deux femmes à pied qui tiennent sa bride, homme musculeux, « de cinquante ans, aux longs cheveux jaunâtres et plats, qui descendent plus bas que ses joues, les lèvres serrées et minces, muet et sombre, le chapeau sur les yeux, » traversent processionnellement la ville de Bristol stupéfaite. Les cinq autres personnes, à pied et à cheval, chantent à pleine poitrine : « Hosannah ! saint ! saint ! trois fois saint ! seigneur Sabaoth ! » - et ne répondent qu’en chantant aux questions qu’on leur adresse. Une pluie violente et la fange des chemins ne les arrêtent pas, et ils chantent toujours « leurs