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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/965

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membres ministériels démissionnaires. On parle d’un amendement qui aurait pour but de rendre permanente l’échelle de droits proposée par sir Robert Peel pour trois années ; on parle de la dissolution de la chambre, de la formation d’un ministère whig-tory, en dehors duquel resteraient à la fois sir Robert Peel et lord Palmerston, sous la direction de lord John Russell. Dans une situation aussi incertaine et aussi troublée, toutes les conjectures sont naturelles.

La réalisation d’aucune de ces hypothèses ne saurait d’ailleurs malheureusement conjurer les périls de la situation, c’est-à-dire la lutte désespérée de la classe agricole contre la classe manufacturière, l’antagonisme inconciliable des intérêts ruraux contre les intérêts bourgeois. Sir Robert Peel est le seul homme par lequel une transaction régulière soit possible. La grandeur d’un tel service à rendre à son pays maintient seule son courage et sa santé chancelante. Des correspondances émanées d’une source élevée assurent qu’il remplira son rôle jusqu’au bout, mais qu’il est invariablement décidé à se retirer si tôt que son bill aura reçu la sanction royale. Il accepterait la pairie, et cesserait de réclamer de son parti un concours qu’il a perdu le droit de lui demander, quelque honorables qu’aient été, d’ailleurs, les motifs de sa conduite parlementaire. Les personnes bien informées assurent qu’un ministère de coalition remplacerait alors le cabinet actuel, et, à vrai dire, les positions sont aujourd’hui assez bouleversées pour qu’une telle administration soit devenue possible. Jamais semblable confusion de principes et de personnes n’avait existé dans le gouvernement de la Grande-Bretagne.

Nous voyons avec bonheur que les difficultés contre lesquelles se débattent nos voisins ne se compliqueront pas, du moins cette fois, d’une lutte armée avec les États-Unis. Les dernières nouvelles constatent que le parti de la paix a triomphé de la fièvre guerrière à laquelle l’Union a semblé s’abandonner pendant six semaines. M. Calhoun, étroitement lié, dans le sénat, avec M. Webster, est parvenu à faire écarter les résolutions de M. Allen, relatives à l’intervention de l’Europe dans les affaires du continent américain. Il n’est plus douteux qu’ils ne réussissent à écarter les autres propositions d’une nature offensive. La dénonciation de la convention de 1827 ne sera plus qu’un moyen de rouvrir une négociation dans laquelle l’Angleterre n’a à défendre d’autre intérêt sérieux que celui de son honneur. C’est à l’influence croissante des états du sud qu’est due la direction nouvelle récemment imprimée aux affaires et à l’opinion au-delà de l’Atlantique. Pour ces états, la guerre aurait été, en effet, une source d’incalculables calamités. Pendant qu’un blocus rigoureux les aurait empêchés de diriger vers l’Europe les riches cargaisons de coton qu’ils lui envoient depuis si long-temps, on aurait vu les esclaves, encouragés par les excitations, par l’or et par les armes de l’étranger, promener le fer et le feu dans les campagnes. Les noirs auraient été, dans une pareille guerre, les plus redoutables auxiliaires des Anglais : c’est ce qu’ont enfin compris les agriculteurs du sud, et cette appréhension n’a pas lieu contribué à sauver la paix du monde.