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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/966

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Pendant que la paix avec l’Amérique devient probable, la conquête du Penjaub devient certaine. L’armée anglaise a éprouvé sans doute des pertes immenses dans les sanglantes journées de décembre ; mais elle a conservé des forces suffisantes pour pénétrer jusqu’à Lahore, et du moment où, contre leur espérance, les Sickhs ne sont pas parvenus à provoquer de défections dans les rangs des troupes indigènes, il ne faut pas douter que sir Henri Hardinge ne consomme son entreprise. Voilà donc l’Angleterre qui va toucher, dans l’Orient, aux états tributaires de la Perse, et peser directement sur la cour de Téhéran. Tandis que cette grande destinée s’accomplit, le bruit se répand en Allemagne qu’une convention de la plus haute importance est sur le point de se conclure entre la Perse et la Russie. Si l’on en croit des révélations émanées de la Gazette d’Augsbourg, une convention pour l’extradition des déserteurs aurait été négociée entre les deux gouvernemens, et des stipulations toutes politiques formeraient l’appendice secret de cet acte. Les ports d’Endjeli et d’Esterabad, sur la côte méridionale de la mer Caspienne, seraient abandonnés à la Russie comme stations pour ses vaisseaux. Cette puissance serait en outre autorisée à construire sur la route d’Esterabad à Téhéran des caravanséraïs fortifiés, pour protéger son commerce dans l’intérieur de la Perse, et à y placer des garnisons. Enfin le shah céderait à une compagnie russe, moyennant une redevance, l’exploitation des mines de houille du Mazenderan, ce qui donnerait au gouvernement russe d’immenses ressources pour sa navigation à vapeur. De son côté, la Russie renoncerait aux sommes encore dues pour les indemnités de guerre stipulées dans le traité de 1828, et l’empereur garantirait la possession du trône au fils du shah, dont la santé est gravement altérée. Un corps d’armée russe serait mis, pour cette prochaine éventualité, à la disposition du gouvernement persan, et dès à présent six mille hommes devraient se tenir prêts à passer l’Araxe.

On attribue ce projet de traité au grand-vizir, gagné par l’or de la Russie, et l’on assure que Mirza-Djafar-Khan, fort connu de la diplomatie européenne, se rend à Pétersbourg pour achever la négociation de ce traité de vasselage. Répondre à la conquête du Penjaub par un traité d’Unkiar-Skelessy avec la Perse, ce serait pour la Russie un événement heureux, et un tel succès lui ferait retrouver une partie de l’ascendant qu’elle a perdu depuis quelques années dans la politique spéciale de l’Orient et dans la politique générale de l’Europe. Cet événement diplomatique, s’il s’accomplit, hâtera le jour d’une lutte gigantesque dans laquelle les destinées de l’Occident lui-même seront jouées aux bords du Sutledge. Ainsi le monde se transforme, trois puissances s’agrandissent, pendant que la France, immobile sur elle-même, ne parvient pas à s’asseoir en Algérie, et oppose infructueusement cent mille hommes à moins de deux millions de pauvres Arabes sans discipline. Un tel spectacle ne saurait se prolonger : il faut que la France triomphe ou qu’elle abdique.

Un désaccord personnel, depuis long-temps connu, a fini par amener la dissolution du ministère espagnol, au moment où M. Mon venait de présenter