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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/1042

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christianisme. Dans Turgot, tout s’accorde, Ï’homme pratique et le penseur, l’esprit et le caractère. Son esprit est un mélange admirable de hardiesse et de retenue, son caractère un modèle de force et de modération.

Les treize années de l’administration de Turgot dans la généralité de Limoges sont une grande lutte. Simple délégué, il lui faut combattre les dispositions peu favorables du gouvernement ; intendant, les préventions des administrés et la mauvaise volonté des magistrats municipaux.

Quand il eut annoncé sa résolution de délivrer les habitans des campagnes de la longue et accablante servitude des corvées, le premier mouvement de populations fut de soupçonner quelque piége. Il ne leur semblait pas naturel qu’un intendant montrât tant de zèle pour sa province. On disait que les sommes demandées aux communes pour les travaux, une fois remises entre les mains de l’intendant, seraient détournées à un autre usage. On répétait que ces apparences l’humanité cachaient quelque intention de tyrannie. À qui s’adresser pour opérer. Le changement des esprits ? Il eut recours à ceux qui avaient alors l’influence la plus directe, la plus continue, aux curés de campagne. Dans sa longue administration, quand des préjugés absurdes vinrent se joindre aux difficultés du dehors, c’est aux curés de campagne qu’il fit constamment appel. C’est eux qu’il choisit toujours pour ses associés dans l’œuvre du bien public. « Vous seuls, leur écrivait-il en 1762, vous seuls en possession de la confiance des peuples, pouvez bien connaître leur situation et les moyens de les rendre meilleurs. Votre zèle embrasse tout ce qui peut tendre au bien public, et tous les services rendus aux hommes sont du ressort de votre charité. » Et il les priait de lui transmettre leurs observations sur l’agriculture, sur l’hygiène, aussi bien que sur l’état moral des habitans. Et lui-même entrait sur tous ces points dans les détails les plus pressans, les plus minutieux, ne négligeant rien, leur recommandant de ne rien négliger, leur parlant toujours au nom de la religion, pour qui rien n’est petit ni méprisable de ce qui intéresse le pauvre, au nom de la loi évangélique, qui voit des frères dans tous les hommes.

En 1770, une disette terrible vint sévir contre la province. La liberté du commerce des grains servit de prétexte aux plaintes du peuple, toujours prompt à accuser le gouvernement du défaut de la récolte. Une ordonnance dissipa les attroupemens : mais c’étaient les esprits que Turgot était jaloux de convaincre. Il savait que rien ne se fit bien qu’avec leur consentement. Il eut le bonheur de l’obtenir cette fois encore à l’aide de ces intermédiaires vénérés, la plus humble des puissances, mais la seule honorable et bienfaisante alors, et ce fut dans cette intendance un touchant spectacle que de voir la religion et la philosophie, la charité et la science qui partout ailleurs semblaient en