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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/1043

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désaccord, travaillant de concert à dissiper les préjugés populaires, à accomplir le bien de tous.

Quant aux difficultés que lui opposait l’autorité, il cherchait à les détourner en montrant l’intérêt général lié aux réformes qu’il méditait pour son intendance. Dans des mémoires qui sont des monumens et que l’abbé Terray, partisan intéressé du régime des prohibitions, citait aux intendans comme des modèles, il établissait que ses projets n’étaient pas de nature à causer préjudice à l’état, que les avantages qu’en retireraient ses administrés profiteraient même au trésor public, et quelquefois le gouvernement toléra qu’il fît le bien dans cette province isolée.

On ne peut voir sans admiration le nombre et l’étendue des réformes que Turgot opéra dans le limousin, au milieu des soupçons, des attaques, des difficultés de tous genres. Répartir plus également la taille entre les habitans ; abolir les corvées, réparer toutes les anciennes routes et créer cent soixante lieues de routes nouvelles, créer les premiers modèles de ces ateliers de charité destinés à concilier le travail et l’aumône, supprimer l’odieux système des réquisitions pour le transport des équipages militaires, permettre dans la milice les engagemens libres et les remplacemens que l’administration avait interdits aux habitans des campagnes, établir entre les communes par le moyen des chemins, par la libre circulation des grains, et, autant qu’il le pouvait, par des mesures prises et des charges supportées en commun, une sorte d’unité, faire en un mot de la province comme un petit royaume, tel est le chef-d’œuvre administratif accompli par Turgot dans l’espace treize années.

Cependant un règne de soixante ans finissait. Les orgies de la régence et les folies du système de Law l’avaient inauguré ; il s’achevait par les scandales de Mme Du Barry et de l’abbé Terray. Louis XV avait paru ramasser en sa personne tout ce qu’il y avait dans son siècle de corruption ignoble et de profond égoïsme. Siècle et roi s’étaient corrompus davantage en vieillissant ; siècle et roi s’étaient consolés en pensant qu’ils ne laisseraient pas au châtiment le temps de les atteindre.

Au moment où Louis XVI succédait à son aïeul, la division était partout dans le gouvernement qui n’était qu’une anarchie de pouvoirs, dans le royaume que les barrières des provinces partageaient en autant d’états opposés d’intérêts, dans la société que séparaient les classes, dans l’esprit humain qui se répandait en mille sectes ; mais, en pénétrant un peu plus avant, il est clair que cette division, que ces rivalités si agitées, si bruyantes, viennent se confondre en deux grands partis, l’un voulant maintenir l’état actuel, l’autre voulant le détruire, les classes privilégiées d’un côté, et de l’autre la nation.

Cette lutte touchait à son dénouement. Les abus signalés et flétris par les grands écrivains du siècle semblaient s’être usés par leurs propres