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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/388

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nuit au-dessus de nous dans l’air, elle nous empêchait de dormir, et elle disait : « Ces jours-ci, et pour la dernière fois, le Christ doit renaître au tombeau de saint Pierre, et après il ne naîtra ni ne mourra plus sur la terre. »

Et la foule se tut, et resta comme effrayée de ses propres paroles.

Les Polonais, les premiers, se sont remis en marche, en rejetant leurs manteaux blancs sur leurs épaules. À travers la campagne et de tous les points de l’horizon arrivent, toujours plus nombreux, les pèlerins. On aperçoit les murailles de la ville, on entend le son des cloches, et plus on avance, plus la lumière augmente, car sur les portes, sur les tours, brûlent et flambent des girandoles de feu, et, l’une après l’autre, les églises de Rome se réveillent et envoient dans l’air les volées bruyantes de leurs cloches.

Il m’a semblé qu’à la nuit succédait un jour d’une blancheur éblouissante. Je ne reconnaissais plus les rues que j’avais quittées le matin. Là où tout n’était que ruines, là où l’oiseau de nuit seul venait se reposer, brûlent et se balancent dans l’air des girandoles de feu, des cordons de lumière. Et le peuple de Rome se presse, s’entasse en criant : Réjouissons-nous, réjouissons-nous, car aujourd’hui va naître le Christ.

Et quand la foule eut aperçu les Polonais entrant sous les portes, et le torrent des pèlerins qui s’écoulait derrière eux, toute joyeuse, elle criait, elle sautait : « Pourquoi donc, demandait-elle, êtes-vous si sombres, nos hôtes ? Si c’est une longue route qui vous a fatigués, que le jus des oranges rafraîchisse vos lèvres ! Jetez bas vos sombres coiffures, vos vêtemens de deuil ; voici des branches de myrte, voici des camélias ; pour vos fronts voici des couronnes. »

Mais, sombres et silencieux, les Polonais ont passé au milieu de la foule, et en marchant ils me disaient : « Où donc est la basilique de Saint-Pierre ? Nous sommes pressés, nous tombons de fatigue, et déjà il doit être près de minuit ! »

Je les conduis à travers le Forum, et il me semble que l’amphithéâtre de Flavien, cet amphithéâtre si vide, si noir, si vieux, se dresse maintenant devant nous comme une masse embrasée ; de la base au sommet, il est émaillé de lumières ; on aperçoit distinctement chaque brin d’herbe, chaque fleur de lierre qui le couvre. Les femmes et les enfans, dans des vêtemens de fête, se promènent sur tous les étages du monument, frappant des mains et saluant notre arrivée.

Et tous les angles du Forum, et toutes les colonnes, tous les chapiteaux, brûlent et flamboient. Sur la colline, au milieu d’une muraille toute dorée par la lumière des feux, s’élève le Capitole ; devant cette immense et éblouissante clarté, les étoiles du ciel ont pâli.

Sans cesse le peuple crie : Hosanna, hosanna ! Et les pèlerins chantent les psaumes de la pénitence. Le peuple marche toujours, faisant vibrer les cordes des guitares, secouant dans l’air les étincelles des torches, et au milieu de ces flots humains nous marchons gravement, lentement dans le deuil de notre esprit.

De tous les balcons, de tous les toits, tombent dans la rue et sur nous des roses et des violettes. Dans le lointain et derrière nous sonne la cloche du Capitole. Devant nous, la cloche de Saint-Pierre résonne dans l’espace, elle seule maintenant se fait entendre plus distincte et plus sonore que toutes les autres.

Nous nous hâtons du côté de cet appel, nous traversons le pont jeté sur le