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Tibre ; sur les bords, les maisons projettent leurs calmes lueurs ; le fleuve serpente au loin comme un ruban de flammes. De moment en moment, les fanons du château Saint-Ange tonnent en lançant leurs bouffées de lumière.

Nous voici arrivés ; déjà nous entrons dans la cour de Saint-Pierre. La coupole étincelle sous des milliers de lampes de toutes couleurs ; au sommet, la croix resplendit comme du diamant. Les colonnes qui sont de chaque côté de la croix m’ont semblé entrelacées comme par des serpens de feu ; au milieu, les fontaines lançaient leurs gerbes d’eaux, irisées comme des arcs-en-ciel. Une masse de peuple attendait là ; les portes de l’église étaient ouvertes, et, dans l’intérieur de l’église, on apercevait comme une lumière profonde, resplendissante, infinie.

Tant qu’ils ont pu, les Polonais et les pèlerins ont marché ; mais, sur les marches de l’immense escalier, au pied du portique, une masse compacte leur a partout barré le chemin. Ils s’arrêtent et demandent à passer ; mais partout, autour d’eux, les masses se serrent, se pressent et cherchent à les refouler.

Et les Romains se sont mis à crier : « Ne sommes-nous pas les premiers ? Depuis des siècles, cette église n’est-elle pas la nôtre ? » Et, au milieu des pèlerins, d’autres voix criaient : « Jusqu’à présent, les Polonais ont marché les premiers et nous ont frayé le chemin ; vont-ils encore aujourd’hui, pour entrer à l’église, passer devant ? »

Et j’ai vu le moment où les Polonais ont tiré leurs sabres, comme s’ils voulaient se défendre ; les lames ont étincelé dans l’air !

Mais au même instant, et sur l’esplanade de la basilique, se montra aux yeux du peuple une figure vêtue de pourpre ; sa voix retentissante disait :

« Laissez passer ceux qui jadis, et pour la foi catholique, ont sauvé de la mort une nation, et qui, plus tard, sont morts pour cette même foi ; laissez passer ces morts, qu’ils soient les premiers ! » Et la figure vêtue de pourpre étendit à droite et à gauche ses mains, comme pour séparer les masses. En bas, les masses se séparèrent. Ce qu’ayant vu, elle se retira dans l’intérieur de la basilique.

Et avec les Polonais j’ai monté l’immense escalier, et, passant sous le portique, nous sommes entrés dans l’église, la traversant en droite ligne jusqu’au pied du grand-autel, près des lampes qui brûlent au-dessus du tombeau de saint Pierre. Arrivés là, les Polonais s’arrêtèrent ; et, ôtant leurs bonnets rouges, dégrafant leurs manteaux blancs sur leurs poitrines, ils se sont agenouillés et ont prié en tenant dans leurs mains leur épée nue.

Dans l’église déserte, les marbres brillaient d’une blancheur de neige ; les fumées bleuâtres et transparentes de l’encens s’élevaient vers la coupole et au-dessous des voûtes suspendues sur nos têtes ; en bas, sur les mosaïques, les fleurs et les palmes étaient dispersées ; de toutes les chapelles sortaient des voix douces et joyeuses. Au loin, du côté de la porte, l’espace commence à se remplir. Les pèlerins s’avancent à travers ce monde de chants et de lumières, comme ils ont marché à travers toute la ville, sombres et silencieux ! Le peuple romain, comme un torrent qui gronde, entre aussi dans la basilique.

Et lorsque chaque légion, groupée autour de son étendard, eut pris place vers son autel, de nouveau, et comme si l’église eût été déserte, le silence régna