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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/649

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la loi commune. Eh bien ! ce brevet, auquel l’Angleterre a renoncé forcément, ne serait-il pas puéril de croire que la France puisse le faire revivre à son profit ? Veut-on savoir où mène l’usage de ces droits différentiels ? Il empêche souvent les navires allant d’un pays à l’autre d’effectuer des retours, ou bien il force les marchandises à faire un circuit pour nous arriver par terre, au grand détriment de nos villes maritimes, auxquelles ce commerce échappe, et des producteurs, dont ces détours aggravent les frais. En voici un exemple. On a vu, dans le tableau qui précède, que les laines brutes paient, à l’importation, outre le droit général de 20 pour 100 de la valeur, une surtaxe de 3 francs par cent kil., quand elles sont importées par navires étrangers. Qu’arrive-t-il ? les importateurs de laine anglaises, plutôt que de se servir de nos navires, font prendre à leur marchandise la voie de la Belgique pour échapper au droit, en sorte que ces laines, au lieu de nous arriver par les ports français d’Ostende ou d’Anvers[1]. Si les droits différentiels peuvent nous servir à quelque chose, c’est uniquement vis-à-vis des nations qui n’ont pas encore de marine, en ce sens qu’ils empêchent les pavillons tiers de faire l’office de facteurs entre ces nations et nous. Malheureusement les pays qui n’ont pas de marine n’ont guère de commerce : aussi l’avantage qui en résulte n’est pas grand. Il est donc vrai que le système restrictif n’assure à notre marine, pour tout dédommagement des faux frais dont il l’accable, que le cabotage, la navigation et la pêche, maigres et chétives ressources qui suffisent à peine pour lui conserver un reste de vie. Pour tout le reste, c’est-à-dire pour la navigation internationale la seule qui soit réellement large et féconde, il la laisse aux prises avec la concurrence étrangère, après l’avoir rendue incapable d’en soutenir le poids.

Et l’on ose dire après cela que c’est le système protecteur qui sauve notre marine ! Disons plutôt qu’il la ruine et qu’il la tue. Le fait de la décadence de notre marine marchande n’est malheureusement que trop certain, nous l’avons constaté ici même par des chiffres officiels dans notre travail sur le commerce extérieur de la France. Pour compléter ces renseignemens, nous pouvons ajouter que la marine des États-Unis, dont la population est moitié moindre que celle de la France, est de trois fois et demie plus forte ; et que celle de l’Angleterre égale a

  1. Il est vrai que la loi porte que la même surtaxe de 3 francs sera appliquée aux laines brutes importées par terre, lorsqu’elles viendront de pays non limitrophes, d’où il suit que les laines anglaises venues par la Belgique en transit n’échapperaient point au droit ; mais on se garde bien d’adopter la voie du transit. Comme les laines ne paient à l’entrée en Belgique qu’un droit insignifiant, on acquitte ce droit, et on déclare la marchandise en consommation. Elle est dès-lors naturalisée belge, et expédiée comme telle pour la France.