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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/652

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auraient pu conduire à quelques résultats utiles ; mais les partisans de la liberté n’étaient pas moins qu’eux dans le faux lorsqu’ils condamnaient à périr toute industrie incapable de vendre. Actuellement ses produits au même prix que l’étranger, car enfin la plupart des industries françaises étaient alors et sont encore dans ce cas. C’était donc à dire qu’elles périraient toutes, sauf une ou deux qui survivraient seules à ce grand naufrage. Quelles armes un tel langage ne donnait-il pas aux ennemis de la liberté ! « Et s’il venait à être établi, disait encore M. de Saint-Cricq, que parmi les objets de grande consommation soit intérieure, soit extérieure, les vins et les soieries soient les seuls qui accomplissent chez nous cette condition (de se vendre au même prix que les produits étrangers), ce sera vers la culture de la vigne et la fabrication des soieries que devront se diriger tous les capitaux, toutes les intelligences, toutes les forces productives du pays ! » Réponse juste et qui sera d’ailleurs irréfutable tant qu’on n’aura pas égard aux vérités générales que nous venons l’exposer.

Certes, si la liberté du commerce venait à prévaloir en France, quelques-unes de nos industries périraient. Ce sont celles qui n’ont pas dans une sorte de privilège naturel, à d’autres peuples ou à d’autres climats ; mais ces industries sont en petit nombre, on pourrait compter celles qui sont menacées d’un sort pareil, et le pays ne pourrait d’ailleurs que s’applaudir de leur disparition. Pour les autres, elles se relèveraient presque toutes plus vigoureuses et plus fécondes, parce qu’elles puiseraient dans un affranchissement général les forces vives dont elles sentent l’impérieux besoin. Tel serait en particulier le sort de l’industrie manufacturière proprement dite. S’il est un pays au monde qui soit favorable au développement spontané des manufactures, c’est assurément la France, ce qui ne veut pas dire toutefois que l’Angleterre ne puisse les établir avec un égal succès. L’état avancé des sciences dans notre pays, l’aptitude remarquable des populations pour tout ce qui est, à un degré quelconque, une œuvre d’art, la densité même de ces populations, enfin la douceur de nos lois civiles ou politiques et l’esprit d’émulation qu’elles entretiennent avec l’égalité, ce sont là autant de circonstances favorables à la prospérité des manufactures, et que nul obstacle physique ne viendrait d’ailleurs contrarier. Si l’on nous parle de la cherté du fer, nous dirons hautement que cette cherté est toute factice, et qu’elle cesserait presque immédiatement sous un régime de liberté. Quand à la cherté du charbon, qui semble tenir à des causes plus durables, elle s’atténuerait à ce point qu’il deviendrait facile de la compenser d’ailleurs.