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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/748

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prévention contre l’Égypte ; on ne pourra du moins me reprocher de céder à cette manie si commune, qui fait enfler à un auteur l’importance d’un sujet favori. C’est au nom des hiéroglyphes et des monumens que l’on commence à comprendre que je viens protester contre un égyptianisme immodéré. On ne le pouvait jusqu’ici. On accordait trop sur quelques points à l’Égypte, parce qu’on la connaissait très peu ; maintenant on sait assez ce qu’elle fut pour savoir ce qu’elle ne fut pas. C’est le moment de lui donner sa véritable place dans l’histoire de l’humanité et certes cette place restera grande. Il suffit à la vieille Égypte de sa religion, de ses arts, de ses institutions, de toute sa civilisation si antique et si curieuse, encore écrite sur ses monumens, sans lui attribuer les sciences et la philosophie alexandrines, qui sont éminemment et presque exclusivement grecques, comme Alexandrie elle-même. Cette conviction saisit vivement ici, dans cette ville isolée du reste de l’Égypte, à laquelle elle ne tient qu’artificiellement, tandis qu’elle est tournée vers la Grèce et semble l’appeler. Les faits, comme on va voir, confirment pleinement cette impression produite par les lieux.

Ce serait une insigne gloire pour les anciennes doctrines égyptiennes d’avoir inspiré le savoir alexandrin, car il est aujourd’hui reconnu que les sciences dans le sens moderne du mot, c’est-à-dire les sciences d’observation et d’expérience, ne datent que d’Alexandrie. Les connaissances géographiques, mathématiques, astronomiques, médicales y ont fait des progrès jusqu’alors inconnus. Une impulsion nouvelle leur a été donnée dans cette ville, qui, par son esprit industriel, commercial, érudit, éclectique, est presque une ville moderne, une ville du XVIe siècle et un peu du XIXe. Dans l’ignorance où l’on était de ce qui fit le fond de la société égyptienne, sous l’empire d’opinions erronées transmises par les anciens et contemporaines de l’erreur qu’elles perpétuaient, il était naturel d’accorder à l’Égypte une grande part dans les connaissances et les idées alexandrines. Ce que l’étude des monumens, interprétés à l’aide des découvertes de Champollion, nous permet d’affirmer sur l’ancienne civilisation de l’Égypte, suffit pour montrer qu’elle fut presque entièrement étrangère à ces connaissances, et n’eut point ces idées qu’on a voulu faire remonter jusqu’à elle. Le développement alexandrin doit être considéré désormais comme un produit natif du génie grec, excité tout au plus par l’idée vague d’une doctrine mystérieuse, et éclairé par quelques rayons d’une science qu’en restreignant beaucoup il ne faut pas nier tout-à-fait.

Les connaissances mathématiques et astronomiques qui ont tant illustré Alexandrie ne sont point, quoi qu’on ait prétendu, un héritage qu’elle ait reçu des sanctuaires de l’Égypte. Les anciens ont proclamé les Égyptiens inventeurs de la géométrie, parce que les inondations du Nil rendaient nécessaire une mesure des propriétés exacte et souvent