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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/271

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chère lady Hamilton… et ne jetez pas mon pauvre corps à la mer ! » Hardy serre avec émotion la main de l’amiral et se hâte de remonter sur le pont.

Dumanoir est enfin arrivé par le travers du Victory. Il trouve le Bucentaure amariné, la Santissima-Trinidad réduite et toute une escadre ennemie groupée autour de ces vaisseaux : le Spartiate et le Minotaur, qui n’ont point encore tiré un coup de canon, l’Agamemnon, le Britannia, l’Orion, l’Ajax et le Conqueror, qui ont à peine combattu. A l’arrière-garde, 6 autres vaisseaux anglais se sont formés en ligne pour couvrir leurs prises ; le Victory et le Téméraire, ranimés par cet instant critique, se sont débarrassés du Fougueux et du Redoutable et sont parvenus à démasquer leurs batteries. « Arriver dans ce moment sur l’ennemi, comme l’écrivait quelques jours plus tard l’amiral Dumanoir au ministre, eût été un coup de désespoir qui n’eût abouti qu’à augmenter le nombre de nos pertes, » mais qui eût sauvé, il faut bien l’ajouter, la mémoire du commandant de l’avant-garde. Cette avant-garde n’opère point cependant sa retraite sans combattre. Le Formidable a son gréement haché, ses voiles entièrement criblées, 65 hommes tués ou blessés, et près de quatre pieds d’eau dans la cale. Le Duguay-Trouin, le Mont-Blanc et le Scipion sont presque également maltraités par le feu de l’escadre anglaise. Le Neptuno, demeuré en arrière, est coupé par le Spartiate et le Minotaur. Le capitaine Valdès, qui commande le Neptuno, se défend pendant plus d’une heure et ne rend son vaisseau qu’entièrement démâté. Intrépides alliés, généreux martyrs plutôt qu’utiles soutiens d’une cause étrangère, la plupart des officiers espagnols rachetèrent noblement en ce jour quelques actes isolés de faiblesse. Plût à Dieu que la vigueur de leurs bras eût répondu à leur courage, et que les vaisseaux de Charles IV eussent valu leurs capitaines ! Sous le vent de la ligne, un vaisseau français, l’Intrépide, occupe quelque temps encore les vaisseaux anglais. Sur cette arène désolée où ne flotte plus un pavillon ami, le brave capitaine Infernet oublie qu’il prolonge seul une résistance désormais stérile. Il repousse le Leviathan et l’Africa, reçoit le feu de l’Agamemnon et de l’Ajax, combat l’Orion bord à bord, et, démâté de ses trois bas-mâts, n’amène que sous la volée du Conqueror.

La victoire de la flotte anglaise est alors complète. Hardy, délivré de toute inquiétude, veut en donner lui-même l’assurance à l’amiral. Il pénètre une seconde fois à travers la foule sanglante des blessés et des morts jusqu’au lit de Nelson. Au milieu de cette atmosphère chaude et méphitique, le héros s’agitait dans une suprême angoisse. Le front baigné d’une sueur froide, les membres inférieurs déjà glacés, il semblait n’arrêter un dernier souffle de vie errant sur ses lèvres que pour emporter dans la tombe la douceur d’un nouveau triomphe. En lui