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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/272

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apprenant la glorieuse issue de ce grand combat, Hardy met un terme à d’atroces souffrances et délie doucement cette ame énergique. Nelson lui donne encore quelques ordres, murmure quelques mots entrecoupés d’une voix affaiblie ; puis, se soulevant à demi par un soudain effort« Dieu soit béni ! dit-il ; j’ai fait mon devoir ! » Il retombe sur sa couche, et un quart d’heure après, sans trouble, sans secousses, sans une convulsion ; rend son ame à Dieu.

Cette nouvelle est portée à Collingwood, et, même au milieu de l’ivresse de la victoire, le pénètre de la plus poignante douleur ; mais la gravité des circonstances lui interdit de donner un libre cours à ses regrets. Des 33 vaisseaux français et espagnols qui, le matin même, offraient si fièrement le combat à la flotte anglaise, 11 se retiraient alors vers Cadix, 4 suivaient au large l’amiral Dumanoir ; 18 avaient succombé, criblés de boulets et couverts de gloire. Des vaisseaux ainsi défendus étaient sans doute une importante conquête, mais une conquête qui pouvait s’abîmer d’un instant à l’autre sous les pieds des vainqueurs. Le gouffre avait déjà dévoré l’Achille ; le Redoutable flottait à peine. 8 vaisseaux n’avaient pas un seul mât qui ne fût abattu ; 8 autres étaient en partie démâtés. Dans l’escadre anglaise, le Royal Sovereign, le Téméraire, le Belleisle, le Tonnant, le Colossus, le Bellerophon, le Mars et l’Africa, également maltraités, pouvaient se mouvoir à peine ; 6 autres vaisseaux avaient perdu ou leurs vergues ou leurs mâts de hune ; la plupart avaient leurs voiles en lambeaux. Le cap Trafalgar, qui devait donner son nom à cette grande journée, était à huit ou neuf milles sous le vent de la flotte ; les dangers de la côte d’Andalousie n’en étaient plus qu’à quatre ou cinq, et la houle plus encore que le vent portait vers la terre les vaisseaux désemparés. Le Royal Sovereign, que Collingwood avait quitté pour transporter son pavillon sur la frégate l’Euryalus, venait de sonder par treize brasses d’eau. Il fallait, — c’était la nouvelle victoire que devait remporter Collingwood, — que 14 vaisseaux et 4 frégates encore en état de manœuvrer arrachassent aux périls de cette situation 17 ou 18 vaisseaux incapables de s’en tirer sans leur secours.

Nelson, prévoyant cet inévitable résultat d’une affaire décisive, avait annoncé, avant le combat, l’intention d’essuyer au mouillage le coup de vent qui se préparait : sur son lit de mort, il avait une dernière fois rappelé au capitaine Hardy la nécessité de jeter l’ancre dès que l’action serait terminée ; mais jeter l’ancre en ce moment, c’eût été abandonner chaque vaisseau à ses propres ressources, et les vaisseaux qui avaient été sérieusement engagés, ceux précisément qui se trouvaient hors d’état de faire voiles, se trouvaient également hors d’état de mouiller. Les boulets n’avaient rien respecté : ils avaient coupé les câbles dans les batteries, fracassé ou désemparé les ancres suspendues aux bossoirs ou