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surtout par des vaincus qui triomphaient à leur tour. Ces derniers parlèrent beaucoup de la révolution pour la maudire. Ils en représentèrent les sentimens, les principes et les actes comme autant de forfaits que la France devait expier, mêlant dans leurs accusations déclamatoires le bien et le mal, enveloppant dans les mêmes anathèmes des crimes détestables et les immortels efforts du patriotisme et du génie.

Cette confusion inique blessa les esprits même les plus calmes ; elle rendit nécessaire l’étude de la révolution française. Une collection de mémoires relatifs à cette grande époque fut publiée par des écrivains appartenant à l’opposition constitutionnelle et lue avidement. Ce fut comme une résurrection. On voyait reparaître tour à tour les partisans et les adversaires de la révolution, Mme Roland et le marquis de Ferrières, Rabaud Saint-Étienne et Mme Campan, Cléry et Camille Desmoulins. Cette publicité impartiale donnée aux récits des actions et des témoins de ce drame révolutionnaire ne pouvait suffire aux générations nouvelles. Les fils voulaient juger leurs pères. Deux jeunes écrivains d’un esprit ferme et lucide obéirent, pour ainsi dire au nom de tous, à ce besoin impérieux. Nous ne voulons parler ici de MM. Thiers et Mignet, au sujet de la révolution française, que pour indiquer combien ils en furent les historiens opportuns et nécessaires. C’est, pour une œuvre historique, un mérite qui rehausse tous les autres, que d’être attendue, réclamée par l’opinion. Alors l’histoire s’élève à l’importance d’une action politique ; alors ni la fantaisie, ni l’imagination, ni des intérêts particuliers ne poussent et ne déterminent l’écrivain qui a la conscience de remplir un devoir que lui imposent le vœu et le génie de son temps. Les choses se passèrent ainsi sous la restauration. Quand Manuel excitait MM. Thiers et Mignet à entreprendre l’histoire de notre révolution, il servait puissamment la cause libérale. On eût dit que ce tribun pensait, comme César, qu’il fallait avant tout relever les images de Marius.

Ces enseignemens de l’histoire portèrent vite leurs fruits et ne contribuèrent pas médiocrement à la révolution de 1830, qui à son tour donna un nouvel essor à tous les souvenirs, à toutes les théories de 89 et de 93. Pendant les six premières années qui suivirent 1830, que de livres entassés pour nous raconter, pour nous expliquer les actes et les doctrines de nos pères ! explosion naturelle, chaos inévitable après une grande secousse politique. Les uns écrivirent l’histoire de la révolution avec les passions du comité de salut public ; ils se plaçaient au sommet de la montagne, cet autre Sinaï, comme on disait à la convention. D’autres considéraient les théories et le triomphe de la démagogie de 93 comme le véritable avènement du christianisme, et l’histoire n’était sous leur plume qu’un long commentaire de ces paroles de Marat : « La révolution est tout entière dans l’Évangile. Nulle part la cause du peuple n’a été plus énergiquement plaidée, nulle part plus de malédictions n’ont été infligées aux riches et aux puissans de ce monde. Jésus-Christ est