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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1056

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notre maître à tous. » C’est ainsi que toutes les opinions, toutes les erreurs, toutes les manies sanglantes de 93 reparaissaient, seulement, il est vrai, sur le papier. Par une sorte d’élan rétrograde, beaucoup d’imaginations se replongeaient dans ce terrible passé, et se complaisaient à nous en raconter toutes les tragédies avec une exaltation menaçante.

Après un pareil débordement, ne semblait-il pas que le champ de l’histoire révolutionnaire était pour long-temps épuisé ? Nous assistons cependant à une espèce de recrudescence qui forme comme une troisième époque dans la littérature historique dont la révolution est l’objet. Sous la restauration, une grande nécessité politique dicta à deux historiens le récit des travaux et des destinées de nos pères. Après 1830, la passion inséparable d’une commotion populaire multiplia les peintres et les commentateurs de la révolution ; aujourd’hui, en 1847, c’est la fantaisie qui inspire surtout les trois écrivains à la suite desquels il nous faut parcourir encore le cercle d’une épopée racontée tant de fois.

Les talens divers, inégaux, qui viennent de se jeter dans l’arène du passé révolutionnaire n’ont pas été tant attirés par l’austère beauté de la muse de l’histoire que séduits par l’espérance de la rendre complice de leurs passions et de leurs idées. L’un, le plus jeune, s’est proposé d’expliquer les événemens et les faits par les principes de cette philosophie politique qui scinde la nation en deux fractions hostiles, la bourgeoisie et le peuple. Nous retrouvons là des erreurs que, dans ce recueil, nous avons souvent combattues, et dont la gravité est mise en relief par les efforts mêmes que fait l’écrivain pour donner à ses théories, à travers les siècles, l’appui et la consécration de l’histoire. Le second, qui doit une juste renommée au courage avec lequel il a conçu et en partie exécuté un long ouvrage destiné à dérouter toutes les annales de notre pays, passe subitement de la fin du XVe siècle à la fin du XVIIIe de Louis XI à Louis XVI. La patience du savant, le calme de l’historien, l’abandonnent ; il porte une main convulsive sur ce que nos fastes ont de plus moderne et de plus dramatique ; il s’agite, il éclate en mouvemens désordonnés, parfois éloquens, emporté par une sensibilité qui l’égare, dévoré par une soif fiévreuse de popularité. Mais, comme cette poésie maladive est éclipsée par les éblouissantes, splendeurs que jette autour d’elle une magnifique et inépuisable imagination ! Voici un glorieux émule de Simonide, de Milton et de Racine, qui met aujourd’hui son orgueil et son ambition à ravir la palme de l’histoire. On dirait Alexandre faisant violence à la pythie et la traînant, malgré elle sur le trépied. Si la victoire ne couronne pas cette audace, c’est là du moins une entreprise, un fait d’armes littéraire qui aura réussi à émouvoir notre époque au milieu même de sa torpeur, à réveiller un moment son goût émoussé.

Le commencement d’une histoire de la révolution française sera.toujours une œuvre fort difficile. Ce grand fait découle du passé avec