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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1084

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renaissance ces enthousiasmes sans mesure. Nous sommes dans un siècle équitable. Jugeons Aristote et Platon sans dénigrement et sans fanatisme, avec cette haute impartialité qui est l’âme de la vraie critique.

On est tombé et l’on tombe encore dans deux excès contraires en appréciant Aristote. Depuis Descartes, on s’est accoutumé à voir dans l’adversaire de Platon le père du sensualisme, et, à ce titre, il a été invoqué et glorifié par les matérialistes du XVIIIe siècle et du nôtre. Dans ces derniers temps, on a été frappé, et à bon droit, de l’inexactitude de ce jugement : on s’est attaché aux belles parties de la psychologie et de la théodicée péripatéticiennes, pour les remettre en honneur, et on a bien fait ; mais bientôt le mouvement de réaction entraînant les esprits, l’on en est venu à proclamer dans Aristote le plus profond et le plus pur spiritualiste de l’antiquité. La dernière limite de cet excès, c’était de considérer l’auteur de la Métaphysique comme un philosophe éminemment religieux et presque chrétien. A moins de proposer de nouveau la canonisation d’Aristote, il semble impossible d’aller plus loin.

Ces deux jugemens extrêmes sont également erronés. Aristote est si peu un philosophe matérialiste, qu’il reconnaît expressément dans l’homme un principe invisible, parfaitement un, parfaitement simple, qui anime et gouverne le corps. Que nos matérialistes, admirateurs d’Aristote sur parole, veuillent bien jeter un coup d’œil sur le Traité, de l’Âme que M. Saint-Hilaire vient de nous traduire ; ils y trouveront la démonstration la plus ingénieuse et la plus concluante de l’immatérialité de la pensée, et, chose piquante, c’est cette même démonstration, qu’on répète depuis des siècles dans nos collèges et dans nos séminaires, sans savoir qu’elle vient d’un philosophe grec et d’un païen.

Si Aristote n’est point un philosophe matérialiste, il est encore moins un athée. L’idée qui fait le fond de la physiologie et de la théodicée d’Aristote est l’idée de cause finale. Voilà encore nos matérialistes un peu surpris. Oui, Aristote est cause-finalier, pour parler avec Voltaire, et il l’est comme genre humain.

Tout être se meut dans ce monde et tout mouvement a une fin. Cette fin du mouvement des êtres, c’est la perfection de leur nature ; mais chaque espèce a une perfection propre, et les êtres s’échelonnent dans l’univers, suivant qu’ils peuvent parvenir à une perfection plus ou moins grande. A chaque pas que fait la nature, elle monte un degré de cette échelle, toujours pressée de faire un pas nouveau, et comme aiguillonnée par un désir immense de progrès et de perfection. Une certaine espèce d’êtres n’est pour elle qu’un moyen d’atteindre une fin plus haute, qui sert elle-même de moyen pour une fin supérieure. L’homme est dans le monde sublunaire le dernier terme de cette ascension de la nature, il résume en lui tous les règnes, en concentre et en accroît toutes les beautés ; mais l’homme n’est pas son idéal à lui-même. Il se