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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/145

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du dessinateur que reposaient principalement l’agrément et la variété des toiles peintes. Comme dans tous les arts appliqués à l’industrie, l’artiste doit nécessairement se soumettre ici à toutes les exigences de la fabrication, et tel genre qui lui semble plus conforme aux principes du goût se trouve rigoureusement écarté comme ne se prêtant pas suffisamment aux besoins du commerce. Toutefois il est à propos de faire remarquer que le dessinateur d’indiennes n’a pas, comme le peintre à l’huile, la faculté de retoucher son œuvre et d’en corriger les effets, si l’exécution lui semble défectueuse. Il doit donc avoir une connaissance approfondie des procédés de la fixation des couleurs pour ne pas composer un dessin dont la réalisation serait incompatible avec les opérations du fabricant ; il doit enfin prévoir les modifications physiques qui peuvent résulter du voisinage des teintes qu’il veut associer : nous voulons parler de ces effets bien connus de contraste que M. Chevreul a si bien expliqués dans son bel ouvrage sur l’assortiment des objets colorés. Chacun peut vérifier, en effet, que deux couleurs de même nature, mais de tons différens, sont toujours modifiées dans leurs nuances, quand elles sont contiguës. Semblablement deux couleurs différentes, mais de tons sensiblement correspondans, n’affectent plus nos organes visuels, dans ces circonstances de juxtaposition, de la même manière que si elles étaient isolées. Le rouge et le jaune, pour prendre un exemple, tournent respectivement au violet et au vert, quand ces deux couleurs sont juxtaposées. On sait enfin que de deux pains à cacheter de même dimension et de même couleur, mais placés sur des fonds différens, l’un paraît notablement moindre que l’autre.

A une classification des tissus peints au point de vue de la fabrication proprement dite, M. Persoz a cru devoir en ajouter une seconde, basée sur la forme des dessins et les couleurs qu’ils affectent : cette classification est empruntée à un travail encore inédit de M. Dollfus-Ausset, qui a fait de ce sujet une étude spéciale. L’habile fabricant s’est proposé de classer un dessin au moyen de formules, en le définissant par ses couleurs et ses contours. Si, modifiant d’une manière heureuse la classification adoptée par les peintres, il a parfaitement réussi dans la première partie de la solution du problème qu’il s’est donné, nous ne saurions en dire autant du groupement empirique de ses formes. M. Persoz paraît être de notre avis, lorsqu’il tente d’y substituer un mode de classement basé sur la géométrie, et de ramener la composition d’un dessin à une combinaison de lignes droites et de portions de cercles. Toutefois cet essai nous semble aussi défectueux que celui qu’il était destiné à remplacer. La géométrie peut, dans certains cas, prêter son secours à l’artiste ; mais, sous aucun prétexte, elle ne doit entraver la spontanéité de son imagination, ni surtout suppléer à l’inspiration par une espèce de jeu de patience.

Il nous reste à donner quelques indications sur les procédés par lesquels l’œuvre du dessinateur peut être reportée sur l’étoffe. Les Indiens et les Égyptiens, que nous avons vus de temps immémorial représenter sur leurs vêtemens des figures diversement coloriées, n’ont jamais employé que le pinceau dans leurs opérations, et long-temps le pinceautage fut le seul moyen d’enluminure usité en Europe. Enfin on découvrit un mode plus expéditif qui consistait à imprimer les tissus à l’aide de planches de bois gravées en relief, qu’on recouvrait de couleurs et qu’on appliquait à la main. Il est hors de doute que ce perfectionnement capital est essentiellement moderne, mais il est regrettable que le