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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/178

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réalisation de ces utiles entreprises. Tout en accordant au projet des camps agricoles l’intérêt que méritent les vues d’un homme aussi éminent que M. le maréchal Bugeaud, il faut espérer que les chambres ne refuseront pas au ministre de la guerre et au directeur-général des affaires de l’Algérie les moyens d’assurer l’exécution des projets de MM. de Lamoricière et Bedeau. La dotation de la colonisation, au budget de 1847, n’est pas en proportion avec les besoins de ce service si complexe, et qui a tant de choses à accomplir. Que peut-on faire, en effet, avec 1,500,000 francs, pour créer des centres dans les trois provinces algériennes, pour y ouvrir des routes, pour y faire des plantations, pour encourager l’émigration ? On éparpille ce maigre crédit sur de vastes espaces, et on n’obtient que de chétifs résultats. Il faudrait au moins, à notre avis, un million par année pour chaque province. On pourrait, avec ces ressources, faire des travaux sérieux et continus, placer, à mesure qu’ils se présentent, les demandeurs en concessions, grands et petits, dont quatre mille cinq cents sont en instance auprès de la seule direction de l’intérieur, avec un capital de 18 millions de francs. Toutes les demandes de ce genre auxquelles il n’a pu être donné suite, et qu’il serait urgent d’accueillir, représentent plus de 30 millions.

Il y a long-temps qu’une opération financière avait produit en Europe une sensation aussi vive que l’achat de rentes que vient de faire l’empereur de Russie sur la réserve de la Banque de France pour un capital de 50 millions. Il y a eu surprise générale dans le monde politique, et à la Bourse une hausse d’un franc. Cette résolution de l’empereur Nicolas n’est faite pour inspirer ni enthousiasme ni effroi. Nous ne jetterons pas, comme quelques personnes, un cri d’alarme, en disant que la Russie intervient dans nos affaires intérieures, et d’un autre côté nous ne considérerons pas le placement ordonné par l’empereur comme l’indice d’une nouvelle politique étrangère pour la France, qui entrerait désormais dans une intime alliance avec le cabinet de Saint-Pétersbourg. La vérité n’est dans aucune de ces exagérations ; ce qu’il y a d’incontestable, c’est que depuis un an l’empereur de Russie montre par ses actes qu’il a changé de sentimens à l’égard de la France. L’empereur a long-temps pensé que le gouvernement de 1830 n’avait pas la force nécessaire pour s’affermir au dedans et se faire respecter au dehors. Cette opinion, il ne l’a plus ; il est arrivé à une appréciation plus juste de la situation et de la puissance de la France. Aussi nous l’avons vu, depuis un an, nous proposer un traité de commerce et le sanctionner, décorer de ses ordres plusieurs de nos grands fonctionnaires, envoyer en Algérie le grand-duc Constantin, refuser de s’associer à la politique de lord Palmerston dans la question espagnole, enfin, tout récemment, placer à Paris un capital de 50 millions. Au moment mène où l’empereur, éclairé par les faits, voit la France d’un autre œil, il sent que l’Allemagne lui échappe ; il ne peut plus compter, comme autrefois sur une étroite solidarité avec la monarchie prussienne, dont la situation se trouvera de plus en plus modifiée par la force des choses et par le progrès des idées libérales en Allemagne. Tout contribue donc à expliquer la nouvelle attitude de l’empereur à notre égard. Le gouvernement français doit y répondre avec une politesse bienveillante, mais sans entraînement : il doit être satisfait qu’une puissance comme la Russie lui témoigne par des signes non équivoques qu’elle croit à sa stabilité ; mais ce n’est pas le moment pour lui de se précipiter dans une alliance systématique. Le crédit moral de la France au