Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/548

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la volupté. Ainsi, quant à l’expression, l’auteur s’est grossièrement trompé. Il a confondu deux sentimens qui ne sont unis entre eux par aucune analogie. Reste à examiner l’exécution. Or, je n’hésite pas à le dire, et j’ai la certitude que tous les hommes familiarisés avec les monumens les plus purs de l’art antique et de l’art moderne formuleraient au besoin la même opinion, le procédé employé par M. Clesinger est à la statuaire ce que le daguerréotype est à la peinture. Ce procédé, quel est-il ? A cet égard, il me semble que le doute n’est pas permis. L’œuvre de M. Clesinger n’a pas le caractère d’une figure modelée, mais bien d’une figure moulée. Pour le croire, pour l’affirmer, il suffit d’étudier attentivement tous les morceaux dont se compose cette figure. Partout l’œil aperçoit les traces manifestes d’un art impersonnel. Le modèle offrait de belles parties qui sont demeurées ce qu’elles étaient et qui séduisent ; mais il offrait aussi bien des pauvretés, bien des détails mesquins, que l’art sérieux dédaigne et néglige à bon droit, et que M. Clesinger n’a pas su effacer. L’auteur a respecté les plis du ventre, parce que le plâtre les avait respectés. Il a conservé follement la flexion des doigts du pied gauche, qui ne se comprendrait pas s’il eût modelé au lieu de mouler. Que signifie, en effet, cette flexion ? Rien autre chose que l’habitude de porter une chaussure trop courte. Les mains manquent d’élégance, parce que les phalanges ne sont pas assez longues. La tête, qui, sans doute, n’a pas été moulée, et que l’auteur n’a pas su modeler, est très inférieure, comme réalité, au reste de la figure. Ce que j’ai dit des plis du ventre, je pourrais le dire avec une égale justesse de bien d’autres détails non moins mesquins. Les plis de la peau au-dessus de la hanche gauche sont beaucoup trop multipliés ; la forme des genoux est loin d’être satisfaisante. Parlerai-je des lignes générales de cette figure ? Il est impossible de découvrir de quel côté il faut la regarder. Si l’on veut la regarder en face, c’est-à-dire en se tournant du côté de la poitrine, la tête disparaît complètement. Si l’on se tourne du côté du dos, la tête ne se voit pas davantage. Si l’on se place au pied de la figure ; on ne voit absolument que la jambe, la cuisse, la hanche et l’épaule gauche. Avec la meilleure volonté du monde, il n’est jamais permis d’embrasser d’un regard l’ensemble de cette figure. Dire que les lignes sont mauvaises, dire qu’elles manquent d’harmonie, d’élégance, serait traduire ma pensée d’une façon bien incomplète. Un seul mot exprimé nettement l’impression que j’éprouve en regardant cette figure. Les lignes sont nulles, car dans la statuaire les lignes brisées n’ont aucune valeur. Si M. Clesinger se fût borné à mouler quelques morceaux pour les interpréter, pour les copier à loisir quand le modèle n’était plus devant lui, je ne songerais pas à le blâmer ; et pourtant il vaut toujours mieux travailler d’après la nature vivante que d’après des morceaux moulés. Dans son amour aveugle pour la réalité, il ne s’en est pas tenu